Bonjour ou bonsoir à tous,
Comme je l’avais annoncé dans mon sujet sur les phrases fétiches et leur intérêt dans le récit, j’inaugure dans la catégorie Savoir-faire un sujet que je pensais avoir déjà sur le forum mais dont je ne retrouve pas la trace, ce qui est étonnant étant donné la popularité de ce procédé.
Je parle bien-sûr du fusil de Tchekhov et du foreshadowing (ou préfiguration dans la langue de Molière). Je vous renvoie vers mon autre sujet car j’y évoquais certaines mises en pratique de ce procédé au travers de quelques répliques de films.
J’ai personnellement découvert ce procédé par le biais de différentes vidéos sur Youtube, notamment la chaîne de Christelle Lebailly, que je vous conseille vivement.
Tout d’abord, quèsaco? Selon Wikipédia (on ne change pas une équipe qui gagne), « un foreshadowing (anglicisme qui peut être traduit par « préfiguration », « présage ») est un procédé narratif par lequel un auteur suggère ce qui est à venir dans son récit, à travers des signes avant-coureurs se manifestant par la mention de points d’intrigue a priori anodins entre le début et le milieu de l’histoire, mais qui en réalité annoncent et préparent de manière sous-jacente le déroulement futur de celle-ci. Ces signes réapparaissent de façon plus significative lors d’un événement ultérieur, dévoilant ainsi leur véritable sens aux yeux du public. »
Le terme de Fusil de Tchekhov, quant à lui, désigne peu ou prou près le même procédé. C’est « un principe dramaturgique, attribué au dramaturge russe Anton Tchekhov, dans lequel chaque détail mémorable dans un récit de fiction doit être nécessaire et irremplaçable et où aucun de ces éléments ne peut être supprimé. » Pour faire simple, et selon ses propres mots: « Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là. »
En clair, l’objectif à travers ce procédé est de placer un élément dans l’intrigue, afin de le réutiliser plus tard au bon moment. Outre le fait de montrer que l’on a vraiment travaillé son histoire et son intrigue, le but avec ce principe est de permettre au lecteur de deviner la suite de l’histoire, afin de l’impliquer dans le récit et de ne pas le laisser en plan en n’introduisant pas un élément important de l’histoire. Il peut ainsi deviner la suite, pour que, lorsque l’élément mis en place prend son rôle, le lecteur sache qu’il avait vu juste et qu’il soit satisfait.
Ce procédé est utile dans de nombreux genres, bien qu’il soit souvent utile dans le cadre d’un mystère constituant le fil rouge de votre intrigue. Le procédé peut ainsi parfaitement se marier avec l’idée d’un twist final, qu’il faut donc préparer bien en amont. Si votre personnage adjuvant trahit votre héros pour devenir son opposant, le lecteur se sentira sans doute déçu de son comportement. Mais il est important de laisser des éléments au fil de l’intrigue pour permettre au lecteur de comprendre que ce personnage va le trahir et de finalement dire « Je le savais ! » lorsque cette trahison a lieu.
On peut ainsi considérer les indices d’une enquête policière dans un polar comme des éléments de foreshadowing, qui favorisent la satisfaction du lecteur à la fin de l’enquête, puisqu’il est censé avoir tous les éléments pour la résoudre, avant même l’enquêteur (sauf dans la série Columbo, dans laquelle tout l’intérêt est justement de savoir comment le héros réussit à trouver les éléments qui lui permettent de déterminer le coupable). C’est d’ailleurs dans le genre du polar qu’un autre procédé assez intéressant, du même acabit que le foreshadowing, est très souvent mis en œuvre: le Hareng rouge, qui consiste dans « la mise en place d’une ou plusieurs fausses pistes pour aboutir à un retournement final non anticipé, donnant un tout autre sens à l’intrigue. » Le plus souvent, dans les polars, le Hareng rouge prend la forme de fausses pistes, de suspects qu’il faut rayer de la liste, etc.
Mais comment faire du foreshadowing? Je ne suis pas du tout un expert en la matière, mais je me suis déjà essayé à ce procédé au travers de mes quelques fanfictions. Je pense donc qu’avant de commencer à écrire, il est nécessaire d’avoir une idée de l’intrigue pour pouvoir prévoir à l’avance ce que l’on va devoir introduire comme éléments. Si par exemple, un virus (c’est peut-être pas le meilleur moment pour parler de ça, mais c’est ce qui m’est venu à l’esprit en premier, sans doute à cause du contexte général actuel ) finit par décimer une partie de la population et que votre personnage est à la recherche d’un vaccin, il semble opportun de parler plus tôt dans le bouquin d’un scientifique, par exemple, qui serait spécialisé dans toutes sortes de vaccins et qui pourrait résoudre ce problème. Si votre personnage est un nain, qui, au fil de son aventure, se retrouve bloqué par une porte qui ne s’ouvre que grâce à une formule en elfique, il serait judicieux d’évoquer le fait que l’une de ses connaissances parle elfique pour justifier le voyage vers ce personnage.
Ces exemples-ci sont sans doute un peu débiles, mais je pense que vous voyez où je veux en venir. Mais si vous voulez une autre illustration un peu plus concrète, j’ai l’exemple parfait en tête, qui est en quelque sorte lié aux répliques culte que j’ai déjà évoquées. Un exemple qui vient d’un des réalisateurs les plus reconnus du XXIème siècle: Christopher Nolan, avec son film The Dark Knight.
Dans ce film sorti en 2008, on y suit bien évidemment l’histoire de Batman, tentant comme il peut de protéger sa ville chérie de Gotham City. Autour de lui gravitent à la fois des alliés et des ennemis aux caractères et aux façons de penser radicalement différentes. Je vais essayer de m’attarder sur l’un d’entre eux: Harvey Dent, alias Double-Face. Au début du film, Harvey est présenté comme un procureur vertueux et courageux, n’hésitant pas à s’attaquer à la pègre de Gotham par la voie de la justice. Lors d’un dîner en compagnie de Bruce Wayne, le « Chevalier Blanc de Gotham », comme Harvey est surnommé, prononce une réplique qui faire réfléchir Bruce, mais qui peut sembler très anodine à ce moment de l’histoire: « Soit on meurt en héros, soit on vit assez longtemps pour se voir endosser le rôle du méchant. »
Et finalement, après la mort de Rachel, et sa rencontre avec le Joker, Harvey Dent devient définitivement Double-Face, c’est-à-dire le méchant que l’on connaît tous. Mais le plus important réside dans la fin du film, puisqu’après avoir pris en otage la famille du Commissaire Gordon, Harvey Dent est poussé dans le vide par Batman, qui cherchait à protéger la famille de son ami. C’est à ce moment que Bruce se rend compte du sens qu’avait les paroles de Harvey. Il décide donc de laisser Harvey mourir en héros, et d’endosser lui-même le rôle du méchant, malgré les supplications de Gordon.
C’est assez subtil pour le coup dans le film (et il est préférable que cela le soit aussi dans votre récit), mais la réaction de Bruce, que la caméra focalisée sur lui permet d’analyser, est pertinente pour deviner que cette réplique va avoir son importance. Bien-sûr, en écriture, il n’y a pas véritablement de caméra à proprement parler, mais il est essentiel que votre personnage remarque l’élément avec pertinence pour que le lecteur fasse de même et analyse la suite de l’histoire.
Pour conclure, ou presque, on peut dire que le foreshadowing peut prendre des formes très diverses mais qu’il doit s’adapter à tous les genres dans lesquels vous écrivez. L’intérêt de ce procédé est d’autant plus essentiel dans les fanfictions que le lecteur connaît normalement le fandom dans lequel vous écrivez. Il ne faut donc pas hésiter à rappeler des éléments déjà vus dans le fandom et qui vous serviront dans le reste de votre histoire.
Si vous créez un OC relié à un autre personnage de votre fandom, vous pouvez rappeler les évènements qu’ont vécu les personnages du fandom pour que cela ait un impact sur votre OC. Par exemple, si votre personnage est la fille de Luke Skywalker, on peut le voir lui raconter comment il a ramener son père du côté lumineux, pour qu’elle fasse de même avec un autre personnage. Ou bien si vous avez un OC avec un lien de parenté avec un personnage du fandom, mais qu’il ne révèle pas directement son identité, vous pouvez glisser ça-et-là des éléments qui relie cet OC à son parent. C’est ce que j’ai tenté de faire dans ma fanfiction A Rapture Reminder: Retour vers les abysses dans le fandom Bioshock, et dans laquelle j’ai crée un OC dont l’identité est révélée à la fin. J’ai ainsi essayé de disséminer des éléments pour qu’un lecteur plus ou moins avisé (ou en tout cas au courant des éléments importants du fandom), puisse faire le lien entre cet OC et deux autres personnages du fandom. Cependant, je ne vais ici rien révéler d’important si vous souhaitez la lire. Ce n’était sans doute pas parfait, mais c’était une tentative.
Voilà ! C’est à peu près tout ce que j’avais à dire. Si vous avez d’autres choses à rajouter sur le sujet, n’hésitez pas. Il y a sans nul doute des gens bien plus expérimentés que moi sur ce forum !
BONUS: Je vous mets deux liens vers un site que je viens de découvrir et qui résument un peu le procédé de foreshadowing et le procédé du fusil de Tchekhov: Qu'est-ce que le foreshadowing? et C'est quoi le Fusil de Tchekhov ? Définition et exemples