Vous allez payer !
À l’heure où les monnaies virtuelles se multiplient et défraient la chronique économique, voici un petit point étymologique…
La monnaie
- Chrétien de Troye nous définit la monoie au 12ème siècle : «pièce de métal servant aux échanges, frappée par une autorité souveraine»
- Du latin Moneta, d’abord «mère des muses», surnom de Junon, puis nom du temple qui lui était dédié à Rome et où l’on fondait la monnaie, d’où l’hôtel de la monnaie (autel ?) ayant «droit de battre monnaie».
- argent monnayé, métal battu en monnaie.
- L’étymologie populaire a rapproché à tort Moneta de monere «avertir»,
Monnaie fiduciaire
À l’origine des formes monétaires, on trouve des biens facilement échangeables.
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Ce fut bien sûr le cas des métaux précieux, l’or et l’argent. Ce n’est évidemment pas un hasard si le terme argent désigne à la fois, dans notre langue, le métal et le principe monétaire. Les pièces de monnaie étaient faites avec ces métaux et leur valeur a longtemps correspondu à la quantité d’or ou d’argent avec laquelle elles avaient été frappées. De nombreuses crises économiques, dans l’antiquité tardive ou au moyen-âge, trouvent un écho dans la « dévaluation de la monnaie », c’est-à-dire, à l’époque, par une baisse du taux de métal précieux dans les alliages des pièces émises par le pouvoir.
La multiplication des échanges augmentait le besoin de monnaie : la rareté des métaux précieux constituait un frein au développement économique. La valeur des pièces fut décorrélée du poids du métal ; ainsi l’attrait de ces pièces n’était plus lié à la valeur intrinsèque mais à la confiance en tant qu’outil d’échanges, ce qui aboutit à l’emploi du terme monnaie fiduciaire, du latin fiducia, la confiance. La confiance dans les moyens de paiement par les agents économiques est d’une importance si critique pour les échanges, que seules les banques centrales sont compétentes pour les émettre. -
Mais les échanges se firent également sur la base d’autres biens, désignés par le terme espèces, du latin tardif species (objet, marchandise vendue dans un magasin, Réf ici), mot qui a également donné épices. Il va de soi que les épices constituaient aussi une excellente marchandise d’échange. Pourquoi ? Parce qu’elles étaient impérissables (ou du moins, de longue conservation : aromates, piments, condiments ou sucreries), qu’elles valaient leur « pesant d’or », s’avéraient facilement stockables, transportables et trouvaient facilement acquéreur. Au 15ème siècle, payer en espèces signifiait payer avec une marchandise. Au fil du temps, les espèces désignèrent tout ce qui permettait de payer. Au 18ème siècle, l’expression se spécialisa en espèce sonnantes et trébuchantes : désormais, les espèces désignèrent spécifiquement les pièces qui tintaient au fond de l’escarcelle. Aujourd’hui, dans le monde, la monnaie métallique représente moins de 1% de la monnaie circulante.
Monnaie scripturale
La monnaie scripturale est celle enregistrée dans le compte des banques. Elle circule entre elles par virement, via des chèques ou encore grâce à l’utilisation de la carte bancaire.
Cette forme de monnaie s’est imposée car elle est très liquide : elle accélère considérablement les échanges. Immatérielle, elle se transforme en monnaie fiduciaire en retrait au guichet des banques ou distributeurs automatiques.
Elle est en outre beaucoup plus facilement contrôlable par les pouvoirs publics…
La monnaie scripturale, littéralement « qui se présente sous forme écrite », se trouve donc étonnament en opposition avec la monnaie « en qui l’on a confiance ».
Pourquoi donc ? Parlons un peu de ces billets de banque dans le contexte français.
- Constitués de papier, ils n’ont aucune valeur intrinsèque. Cependant, les agents économiques ayant confiance dans leur valeur, ils font partie de la monnaie fiduciaire. Bien entendu, en cas de crise internationale, la confiance accordée aux billets nationaux peut chuter au profit d’un substitut international. C’est le cas du dollar au Liban après la dernière crise économique.
- C’est dire que la confiance dans ce moyen de paiement réputé « fiduciaire », de confiance donc, n’est jamais définitivement gagnée. Il a d’ailleurs fallu des efforts considérables pour établir cette confiance…
- Certes, la Lettre de change, (étymologiquement lettre d’échanges, le change comme transaction convertissant une monnaie en une autre ne constituant qu’un cas particulier), initialement reconnaissance de dette et l’ancêtre du chèque et du billet de banque, avait déjà fait ses preuves parmi les réseaux marchands et bancaires : La gestion économique des biens et revenus templiers, hospitaliers et teutoniques, puis les réseaux de Jacques Coeur, de La Hanse et des Flandres ou des banquiers Lombards et Gênois, ainsi que l’empire commercial Vénitien en Méditerranée, peaufinèrent le système et sa gouvernance, raffinant les contrôles et allant jusqu’à couvrir la faillite de certaines créances dans le but d’assurer la confiance et donc la pérennité du système d’échanges.
- Diverses formes de reconnaissances de dette furent formalisées et normalisées, par exemple le billet à ordre (Réf) (ordre au sens Ordre de paiement), qui engage le souscripteur à payer une somme d’argent à un terme convenu. Ce billet, si le souscripteur est solvable de réputation, peut servir d’effet de commerce, de moyen de paiement commercial.
- Le Dictionnaire Universel de Furetière (1690) indique « Il y a deux sortes de monnoyes, l’une réelle, comme sont toutes les espèces qui ont cours; l’autre imaginaire et de compte, inventées pour la facilité du commerce, ou de la supputation. » C’est dire la réticence envers la monnaie « imaginaire »… dont les expériences de papier-monnaie ont échaudé le bon peuple français.
- En 1720, l’économiste écossais John Law avait créé une banque d’État pour le compte du roi Louis XV, qui émettait des billets de banque en papier. Après une courte période de succès, le système économique de Law s’était effondré, laissant des milliers de familles françaises avec des montagnes de papier-monnaie sans valeur.
- En 1789, la France dut à la fois faire face à la crise économique qui avait précipité les Etats-Généraux et à la guerre contre les autres puissances européennes. Ce fut Mirabeau qui l’emporta, contre l’avis de Necker, proposant la création d’une banque nationale française, qui émettrait une quantité limitée de papier-monnaie pour rembourser les dettes à court terme du pays, dont les échéances approchaient rapidement. Initialement, l’assignat était une obligation (titre financier qui représente un prêt, en l’échange duquel l’émetteur verse un intérêt au souscripteur, et que l’émetteur est obligé de rembourser au souscripteur.) dont la durée de vie aurait du être limitée. L’assignat fut émis massivement, à un taux d’échange fixe avec les métaux précieux et adossé à la valeur des Biens Nationaux, propriétés confisquées à la Noblesse et à l’Eglise. Mais l’incapacité du gouvernement révolutionnaire à recouvrer les impots, la réticence des acteurs à l’égard du papier-monnaie, la crise de confiance de tous les acteurs, y compris internationaux suite à la fuite du Roi, accélérèrent l’inflation. L’émission de millions de faux assignats par la Grande-Bretagne paracheva le fiasco. Malgré les victoires militaires, de nouvelles confiscations en Belgique et aux dépens des Emigrés et de nouvelles émissions d’assignats, le système s’effondra.
- le terme assignat vient de assigner, au sens d’une destination donnée à un bien pour constituer une rente. Le dictionnaire Godefroy indique : « Le don par lequel un pere faisoit part de son bien a ses fils puines ou a ses filles, en leur assignant de quoi se marier, estoit un assinat […]. Les termes assenne et advis qui sont anciens signifient ce que nous disons a present assinat. »
- Napoléon Bonaparte, à la suite du Directoire, réaffirma la création du Franc adossé à l’or.
- Au 19ème siècle, des billets papier échangeables contre de l’or furent progressivement émis, mais contrairement à ce qu’affichait la propagande étatique, seuls 5 à 10% des montants émis se trouvaient couverts par la réserve de la Banque de France… Néanmoins le papier-monnaie progressa en confiance et compte au rang des monnaies fiduciaires, aux aléas près de la lutte permanente contre les faussaires et des crises politiques, et cela perdura jusqu’après l’arrivée de l’euro.
Monnaie numérique
- Il s’agit d’un moyen d’échange de valeur, stocké sous forme électronique, numérique. Les usages fluctuant, les pouvoirs publics européens ont ressenti le besoin de la définir dans le Code monétaire et financier (loi française no 2013-100 du 28 janvier 2013 - article L315-1) : « La monnaie électronique est une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement définies à l’article L. 133-3 et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique. » On insiste donc à la fois sur l’acceptabilité par des tiers et l’engagement de l’émetteur (à rembourser la valeur sous d’autres formes)…
- Dans la mesure où la monnaie scripturale (les comptes bancaires) est déjà stockée sous forme électronique, cette définition peut paraître l’englober. C’est pourquoi certains restreignent la monnaie numérique aux seuls montants stockés de façon indépendante des comptes bancaires.
- Le marketing de certains acteurs financiers confond sciemment les concepts de porte-monnaie électronique (qui porte effectivement de la monnaie) et de portefeuille numérique (ne portant aucune monnaie mais améliorant les paiements par carte de crédit : mobilité, sécurité…)
- Les monnaies cryptées explosent dans des cercles plus ou moins fermés de services virtuels (jeux video, lignes aériennes, monnaies convertibles cotées…), certains tâchant de se démarquer de contingences bancaires incomplètement clarifiées. L’étymologie latine crypta (grotte, caveau) ou grecque κρυ ́π τη. « voûte souterraine » évoque bien le secret et l’obscurité d’un domaîne en pleine gestation…