Ce que tu vis intérieurement quant à tes écrits me parle et me touche. Pour ma part, j’ai détesté mes écrits au point de les supprimer. C’était sur un blog, en 2007. J’avais un petit public, des gens dont j’appréciais également les écrits sur leurs blogs respectifs.
Et puis, à cause de raisons que nous dirons principalement liées à un perfectionnisme obsessionel-compulsif (qui quelques années plus tard me fera définitivement perdre la santé physique), à cette époque déchaîné et rendu absolument hors de contrôle par des conditions d’existence compliquées, je me suis mise brutalement à haïr mes textes. Je les voulais parfaits, mais d’une perfection qui relevait d’un fantasme irrationnel. J’ai tout supprimé sans rien sauvegarder, chose qui était jusqu’alors impensable pour moi qui gardais tout. Le soutien de mes amis bloggueurs de l’époque n’aura pas suffi à me faire revenir de la stratosphère où je planais complètement hors du temps et de la réalité. Je voulais, à travers mes écrits, exprimer l’idée d’une pureté ineffable. Conséquence de quoi, je me suis cassé les dents là-dessus, et je n’ai pratiquement plus rien pu écrire pendant des années, et tout ce que j’écrivais, que je parvienne au point final ou que j’abandonne en cours de route, était indigeste, nauséeux, tortueux, outrageusement intellectualiste et hermétique, car tout portait la trace de mon tourment moral.
J’avais perdu ma spontanéité, j’étais suppliciée par un absolu que je voulais exprimer mais qui était par définition indicible et inatteignable. Durant cette période, j’ai même eu le culot de retoucher à des textes rédigés en 2005-2006 et qui me semblaient toujours bons mais auxquels j’avais cependant fini par trouver un petit quelque chose qui clochait, comme le petit pois sous le matelas qui empêche de dormir. Grossière erreur : je n’ai pas conservé les originaux, et mes petites modifications ont eu pour effet de flinguer pour de bon les textes en question. Je le regrette encore aujourd’hui. On ne touche pas impunément aux élans premiers de la jeunesse, aussi mièvres puissent-ils nous paraître longtemps après que cet élan est passé. Aujourd’hui encore, je sens la goutte de sueur perler au coin de ma tempe chaque fois que je dois apporter quelques corrections à ma prose (et en l’occurrence, il ne s’agit plus que de fanfiction) : ne vais-je pas encore tout ■■■■■■ en l’air, sous prétexte d’améliorer un peu l’ensemble ? Où trouver la juste limite ? Saurai-je différentier le fond de la forme et savoir sur lequel des deux aspects il me faudra intervenir ?
Et puis il y a 2 ou 3 ans, j’ai découvert la fameuse « Wayback Machine » (je suis sur smartphone et ne peux donc mettre le lien) qui sauvegarde depuis des années sur ses serveurs des millions de pages web. J’y ai entré l’adresse de mon vieux blog de 2007 et ô miracle : la machine à remonter le temps en avait archivé quelques pages ! J’ai ainsi pu retrouver certains des textes que j’avais tant détestés. Je les ai relus, et j’ai été émue : car je ne les détestais plus. Ils étaient l’expression d’une insouciance et d’une candeur que j’avais subitement perdue presque aussitôt après les avoir publiés, et ce sont eux qui en avaient fait injustement les frais. J’ai pu alors comprendre, avec 12 ans de recul, ce qui s’était réellement joué pour moi à cette époque-là. J’avais maintenant acquis une hauteur suffisante pour de nouveau les apprécier comme j’avais su le faire au moment de leur rédaction et de leur publication et en même temps, je pouvais aussi comprendre pourquoi je m’étais mise à les haïr aussi rapidement et aussi brutalement. Toute cette expérience m’a appris l’indulgence et m’a réconciliée avec l’écriture, mais cela m’a pris presque 10 ans (je me suis remise à écrire aussi librement que jadis en 2016 seulement).
Mais l’écriture, comme toute forme d’art et même comme toute manière d’être et de voir, évolue nécessairement avec la personne qui la porte : l’âge, le vécu et la pratique nous font évoluer, nous nous améliorons, notre style change, notre point de vue sur les choses et notre état mental aussi… C’est donc normal de considérer ses œuvres passées d’un autre œil, comme si un autre que nous les avait commises. Normal donc aussi, de parfois ne plus les aimer, et de se sentir (très) mal à l’aise en les contemplant de nouveau. Mais ces œuvres ont marqué un point de notre histoire, et ont été un signe de ce que nous avons été à un instant T de notre vie. Elles sont l’expression, la cristallisation spontanée et complète de ces instants. Nous n’aurions donc pas pu faire mieux que ce que nous avons fait à ce moment-là, à cet instant précis. Mais parce que de par notre nature nous sommes en constante évolution, il est toutefois normal que nous soyons meilleurs que ce que nous avons été, d’où l’impression désagréable de décalage et de médiocrité (voire, de nullité) lorsque nous regardons nos productions passées. C’est une expérience à la fois extrêmement inconfortable et salutaire, car elle témoigne de ce que nous sommes en vie, et ce que que nous progressons le plus normalement du monde dans cette existence.
In fine, je comprends totalement ton sentiment d’allergie à l’encontre de tes anciens textes, et cette irrépressible pulsion qui te possède de vouloir les supprimer. Je n’aime pas donner des conseils non sollicités pas plus que des leçons de moraline à trois francs six sous (édit : c’est pourtant ce que j’ai fait éhontement sans m’en rendre compte juste au-dessus, oups !), aussi je n’ai rien d’autre à te livrer que mon témoignage on ne peut plus personnel et forcément fortement égocentré
.
Je te souhaite le meilleur !