L'art et la manière de parler victorien

Et si c’était au contraire un retour à la bonne vieille traditions ? :thinking:
Dans leur légendaire pragmatisme, les romains étaient très friands d’abréviations qu’ils utilisaient un peu partout lorsqu’il s’agissait d’écrire, pour gagner du temps et de la place : les tombes, les monuments, la monnaie, le courrier, même les graffitis.
Les lettres commençaient souvent par la formule « S.V.B.E.E.A.V » (Si Vales, Bene Est, Ego Autem Valeo (Si tu vas bien, tout est bien, je vais bien moi aussi.)), ce qui n’a rien a envier à nos SMS modernes.
Si les romains le faisaient, j’imagine que tout va bien. :grin:

Et puisque @Anthaus évoque Champollion les hiéroglyphes égyptiens (comme d’autres alphabets moyen-orientaux) ne retranscrivent pas les voyelles à l’écrit, seulement les consonnes. Les voyelles doivent être devinées à la lecture. (je résume, c’est très compliqué les hiéroglyphes).

Il faut donc saluer se retour à la littérature antique classique qui a tant inspiré notre civilisation ! :blush:

9 « J'aime »

Je vous propose d’explorer un terme – marque à part entière d’un fossé générationnel – dont la singulière émergence phénoménologique ne saurait manquer d’intriguer l’esprit curieux. En toute apparence, il s’agirait d’une exclamation chafouine ; d’un piège pernicieusement lancé dans l’abîme du dialogue pour y imposer une fin abrupte. L’écueil est savamment dissimulé derrière une poignée de lettres, attendant qu’un imprudent vienne y tomber, sombrant alors dans un gouffre de perplexité. En effet, loin d’être une simple interjection, ce mot qui n’en est pas un, recèle une perfidie inhérente : ici nul syntagme analysable ; l’helléniste en quête de sens qui chercherait à découvrir le pot aux roses, mettrait spontanément malgré lui le premier pied dans le collet.

Imaginons alors la scène : un quidam, empreint d’une sincère et inestimable candeur, interroge son compagnon de verbiage sur le sens d’un mot à l’aide d’une forme raccourcie de « qu’en est-il ? », qu’il présumait, bien à tort, anodine. À peine a-t-il exprimé son étonnement que son interlocuteur, mystificateur lui assène, de manière fort cavalière, la retentissante et ineffable interjection. Le terme abscons, dont la volontaire obscurité confère à l’instigateur – généralement un jouvenceau retors et manquant de dignité comme de vocabulaire – de la farce malavisée le pouvoir de, l’espace d’un instant et avec un ridicule consommé, moucher brièvement son vis-à-vis. C’est là toute la ruse de cette mascarade linguistique : mettre un point final à la possible conversation en réduisant un bref moment la malheureuse victime désabusée à un silence atterré.

Réponse à ce galimatias ?

5 « J'aime »

Incommensurable est l’attrait de cette aguichante ligne grise sur laquelle vient baguenauder le curseur du petit muridé (qui n’est pas vert) lové au creux de ma paume… Mais que nenni ! Point ne céderai à l’attraction sans vergogne d’un pareil divulgâchage ! Nonobstant, mon esprit se heurte aux parois froides, noires et impénétrables de l’incompréhension, inopérant à détecter dans cet embrouillamini descriptif la moindre ébauche de cheminement déductif…

… Un indice, please ?

6 « J'aime »

Je tente ma chance de traduction : Le domaine où se promène le curseur de ma souris est très attirant. Mais je ne vais pas céder à la tentation de révéler trop tôt l’intrigue ! Pourtant, je n’arrive pas à rendre ce texte moins confus ni à en tirer une conclusion logique.

6 « J'aime »

Exactement. Je n’entrevois ici la moindre extrémité de fil qui m’autoriserait à démêler cet écheveau, juste en tirant dessus. Car quoi ?

De cela, il en est pléthore :thinking:
Donc si @Crapule daignait baisser son regard vers les malheureux mortels qui se débattent, proches de la noyade, dans le ressac des tâtonnements pour résoudre son énigme, afin de leur offrir l’ébauche d’une indication, ma reconnaissance et ma gratitude lui seraient acquises à jamais.

7 « J'aime »

Ma douce amie, je ne sais si je puis vous aiguiller sans trop en dévoiler…

Alors, en souhaitant ardemment que l’indice ne soit pas trop capillotracté : ce piège linguiste bien souvent tendu par de pauvres hères – de prime jeunesse et en manque d’éducation – à une vieillesse un brin dépassée, n’est pas si neuf. Bien avant l’avènement de ce désagréable procédé, sévissait celui consistant à invoquer inopinément un merlan – ouvrier méticuleux veillant à arranger aux mieux les cheveux – en réponse à une brève interrogation présentée sous la forme d’un laconique « Quoi ? ».

Ps : j’avais commencé à « baisser mon regard » (avant que Beauvais ne confirme que c’était trop ardu de résoudre l’énigme en l’état sans tricherie :wink: ) vers les pauvres mortels, bien évidemment, dans mon immense mansuétude prête à leur venir en aide ; mais – comme trop souvent – j’ai été interrompue dans ma réflexion par un événement récurent de la vie réelle – qui ne s’embarrasse pas du temps pris par les jeux d’esprit – : le dur labeur me permettant d’assurer un certain train de vie.

Re Ps : je ne sais pas si je maîtrise l’art de « parler victorien »… à priori, c’est plutôt faire des phrases à rallonge agrémentées de quelques termes ampoulés xD

6 « J'aime »

Je vois que l’ampoulé n’est pas pour autant lumineux.
Allez je vous aide,

j’ai trouvé des exemples en français (ça sera plus direct) de lettres « normales » (qui n’émanent pas d’un écrivain de métier) sur ce blog :

.
Dans cette liste, j’adore, bien sûr, la lettre d’amour « digne d’un M. Darcy », et la dernière est déchirante. Mais je ne voudrais pas plomber l’ambiance.

Alors pour changer, je vous insère quelque chose d’époque et qui va tout droit : une lettre de rupture :smiley:
(cf. Le dilemme)

1867

Miss Esther Davenport,

Votre message m’a ouvert les yeux sur la folie et l’erreur de la conduite que j’ai tenue jusqu’à présent. Toute la nuit j’ai arpenté ma chambre, cherchant à me décider sur ce qu’il était de mon devoir de faire, et me voici à vous répondre avec toute la franchise que vous m’avez réclamée.

Je ne me chercherai pas d’excuses, car je mérite votre colère, mais je vous dirai seulement que mes propres sentiments ont aussi été déçus. Lorsque je vous ai demandé de m’épouser, je pensais que nous convenions l’un à l’autre et que je pourrais vous rendre heureuse. Je n’étais pas riche, mais je possédais assez, selon moi, pour assurer un certain confort, et en pensant que vous étiez du genre à vous satisfaire d’une vie modeste, je vous ai invitée à partager la mienne. Notre intimité grandissante m’a démontré mon erreur. Vos désirs extravagants sont bien au-delà de mes moyens, et vos remarques amères et sarcastiques à propos de ceux de vos amis qui ne sont pas riches m’ont montré que vous convoitiez une vie de luxe.

J’ajouterais, puisque vous me demandez d’être franc, que vous m’avez souvent peiné par votre tempérament inégal et maussade, si bien que j’entrevois une vie plutôt malheureuse pour nous deux après ce mariage.

Je sais que l’honneur me lie à vous, et je ne vous demanderai pas de me libérer de ma promesse si vous ne le souhaitez pas, en revanche je vous demanderai respectueusement, si jamais nous nous marions, de ne pas questionner les raisons de ma froideur, car je vous les ai données.

Remettant notre engagement entièrement entre vos mais, je reste, à jamais, votre

Henry Hendricks.

6 « J'aime »
Résumé

Wesh la michetonneuse !

Une lettre en demi-teinte finalement, qui cache derrière ce délicat équilibre entre sincérité et tact, une forme de couardise, en ce que l’auteur laisse à sa promise la responsabilité de décider seule de la destinée de leur relation. « Je ne vous aime plus, et il est inimaginable que je puisse être amené à vous aimer à nouveau, mais si je puis formuler une dernière requête, j’apprécierais que vous fussiez la seule à endosser le déshonneur de rompre nos serments. »

Douze ans auparavant, Gustave Flaubert s’était montré bien moins attentif lorsque le temps de briser l’amourette qui le liait à Louise Collet lui sembla être venu :

Madame,

J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois chez moi.

Je n’y étais pas ; et, dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.

J’ai l’honneur de vous saluer

Fl.

Libre à chacun de juger de la goujaterie ou non de cet homme. L’intéressée lui attribua en retour les qualificatifs de lâche, de couard et de canaille. Toujours est-il que lorsqu’il dût faire écrire par son personnage de Rodolphe (personnage qui était à ses yeux un symbole de médiocrité), une lettre de rupture destinée à Emma Bovary, il se montra bien plus prolixe, à défaut d’être moins répugnant.

5 « J'aime »

C’est pas mal d’éclairer les lanternes des ignorants coincés au XXe et XXIe siècle :stuck_out_tongue:

Plus sérieusement, j’aime beaucoup la tournure de ces lettres (oui, la dernière est tragique…) et pour celle proposée sur le forum, c’est spécialement gratiné. D’accord avec Anthaus, tant de soin apporté dans les mots choisis pour signifier à Miss Davenport que son caractère ne convient pas à son futur époux et que, si d’aventure elle choisissait néanmoins de ne pas le libérer de sa promesse, la dulcinée superficielle assumerait les conséquences d’une union malheureuse…

Ah oui, Fl. n’y allait pas par quatre chemins… on peut admirer la concision de la lettre pour quelqu’un d’habitude si prolixe.

4 « J'aime »

Vagabondant sur la virtuelle toile à la recherche d’éléments susceptibles de qualifier au mieux les standards du langage victorien (quand bien même des phrases amphigouriques où musardent quelques vocables prétentieux, voire boursouflés, sont de nature à mettre en joie le lecteur comme le scripteur), je découvris que le terme « Tickety-boo », cher à notre aimable Aziraphale, relevait de l’argot victorien (l’on pourrait de nos jours le traduire par « Tout va bien »).
Je ris.
Mais regagnons le pré de nos ovins.
En quête d’une amorce de dialogue dans l’énoncé de votre énigme, je m’arrêtai sur « Quid ? » avant de réaliser que je plaçais possiblement la barre du niveau de langage à une hauteur un peu trop éloignée du sol. Aussi me rabattis-je sur le « Quoi ? » de votre message destiné à voler au secours du quidam voyageant à l’aveuglette dans les méandres de l’incompréhension. Auquel cas, j’ai bien peur d’entrevoir l’abominable vérité.
J’en tressaille d’effroi, et pressens le malaise. Vite, mes sels !!!

4 « J'aime »