Je peux comprendre qu’on pense ainsi. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur la façon dont notre langue influence notre perception du monde.
À titre d’exemple, on va plus souvent entendre parler de maîtresse (pour maîtresse des écoles) que de maître, ou d’infirmières plutôt que d’infirmiers. Cela peut donner lieu à une répartition mentale des professions en fonction du sexe / genre de la personne. Tu es une femme, donc tu seras… Tu es un homme, donc tu seras… Et ça fait toujours bizarre quand on parle d’un « sage-femme », parce qu’il y a le mot femme dedans (mais c’est une personne qui connaît les femmes, d’où le nom).
À voir si des études ont été menées à ce propos, mais peut-être que la féminisation de certaines professions perçues comme étant masculines pourrait contribuer à une forme d’égalité ou d’équité. Et à l’inverse, masculiniser davantage certaines professions aussi.
… mais ce serait oublier les personnes qui ne sont pas dans ces cases binaires !
En y réfléchissant, ça me rappelle cette vidéo de Tom Scott sur le sujet, en quelque sorte. La langue que nous parlons change-t-elle notre façon de penser ?
Spoiler alert : non, mais elle reflète la façon dont on voit le monde. Et si nous voyons notre monde en genrant autant certaines cases, la langue le montrera par les tournures, les adjectifs, les accords…
À voir si en effectuant un travail sur soi nous pouvons nous révéler capables de changer cela, aussi bien notre façon de percevoir le monde et la langue que nous utilisons.
À titre plus personnel, une fois que j’ai pris conscience de cette masculinisation forcée de la langue, et lorsque j’ai vu les personnes autour de moi effectuer un premier travail de ‹ correction › (même si ça n’est pas le bon terme), j’ai senti un changement. J’ai commencé à chercher des tournures qui me permettraient d’utiliser une forme d’inclusivité. Dire « bonjour à toutes et tous » au lieu de « bonjour à tous », rien que ça, c’est un premier pas vers l’inclusivité. Lorsque le doyen de l’école de mon aînée a préféré utiliser le féminin car il y avait une majorité de femmes dans la promotion à qui il remettait les diplômes, ça n’a choqué personne – c’était juste l’effet inverse de ce à quoi nous avions toujours été habitué.e.s…
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Là, je comprends parfaitement, et c’est un exercice mental même pour les personnes qui y sont habituées car pour l’instant il n’y a pas de règles fixes : l’écriture inclusive en est encore à ses balbutiements.
Comme toute langue, ou toute évolution de langue, elle doit se façonner. On ne demande pas à un bébé d’agir, parler et de penser comme un adulte. Pour l’écriture inclusive, c’est pareil : il faut lui laisser le temps, et nous laisser le temps.
Certaines personnes préfèrent utiliser les points médians, parce que plus intelligibles, mais d’autres vont partir plutôt sur un point final car plus accessible (sur le clavier). Il y a toujours le souci de l’‹ accessibilité › de l’outil pour l’utiliser.
Le problème que nous rencontrons en français est cette ‹ genrification › (excusez le barbarisme) des noms. Tout doit avoir un genre. Masculin ou féminin, mais il y a cette règle inhérente à la langue qui date de toujours et qu’on n’a jamais remise en question.
Si, à l’image de l’anglais ou de l’allemand nous pouvions utiliser un genre « neutre », ce serait super ! À condition qu’il soit cohérent (parce que das Mädchen pour dire « la jeune fille », je le comprends toujours pas… pourquoi femme et homme sont genrés au féminin et masculin, mais la jeune fille au neutre ???). Mais c’est l’héritage de la langue qui fait que nous n’avons plus que deux genres, et parfois très arbitraires. (pourquoi un mot emprunté à une langue étrangère doit forcément être au masculin, à moins d’exceptions tellement ancrée dans notre langue qu’elles ont été assimilées ?)
Je n’oublie pas combien la langue française est belle et poétique – elle est juste retorse à manier de façon « neutre » ou « agenre ». Pour avoir tenté l’exercice, ça n’était pas simple de remanier constamment mes phrases pour n’avoir aucun accord qui indiquerait si le personnage principal est un homme ou une femme – ou ni l’un ni l’autre.
Ne reste plus qu’à voir comment elle évoluera, comment les locuteurices se façonneront à cette nouvelle façon de faire, et si l’inclusif sous sa forme plus « radicale » tombera en désuétude d’ici quelques années.