Dans un tout autre registre que Marios Bros, le 18 janvier 2023 c’est la sortie officielle de La Guerre des Lulus.
Synopsis : 1914, le jeune Ludwig est envoyé à l’orphelinat car sa mère, femme de chambre, part travailler en Suisse et doit d’abord économiser pour le faire venir dans les Alpes avec elle. Arrivé à l’Abbaye de Valencourt, il est installé au dortoir organisé par ordre alphabétique. Dans la chambre des L, Ludwig fait la connaissance de Lucien, Luigi et du petit Lucas, alias la bande des Lulus. Un jour, alors que les quatre gamins font l’école buissonnière suite au départ de l’instituteur pour le front de la Somme, leur abbaye est évacuée d’urgence en prévision de l’avancée allemande. A leur retour d’escapade, ils se retrouvent seuls et livrés à eux-mêmes dans le village déserté de l’abbaye.
Pourquoi qu’j’en cause, surtout ici ?
A l’origine, « La guerre des Lulus » est une bande-dessinée en 10 volumes (dont 8 parus) et 2 spin off, créée par Régis Hautière (breton d’origine, picard de coeur) et Hardoc (originaire d’Albert, dans la Somme) et publiée chez Casterman.
Les deux auteurs sont bien connus à Amiens, on les croise régulièrement à la librairie avec mon conjoint et on a habité quelques années dans la même rue qu’Hardoc (en fait j’ai même visité la maison à côté de la sienne quand on cherchait à déménager). Bref, ce sont nos stars locales dans le milieu de la BD. Régis est un scénariste très prolifique et plutôt doué de mon point de vue.
Je n’ai pas lu la BD, mais mon conjoint si, il la trouve bien écrite et c’est un succès commercial apparemment.
Dimanche dernier, on a eu l’occasion de voir le film en avant-première dans un festival à Amiens, en présence des auteurs de la BD, de l’acteur qui joue Ludwig et et d’un membre de la prod. Donc j’ai décidé de venir en parler et en faire la demi-promo.
Mon avis sur le film :
L’histoire (la trame de fond) est bien, c’est structuré, les personnages sont attachants, il y a pas mal d’humour, rien à redire sur le scénario initial.
Sur son adaptation, le format cinéma a poussé le réalisateur à condenser en trois mois (fin de l’été arrivée de l’automne) une histoire normalement étalée en 2 ans et demi et à intégrer des éléments des spin off (et même des histoires courtes pilotes publiées dans des revues avant le lancement de la série chez Casterman). De fait, comme l’a souligné Régis, il y a des anachronismes.
Régis a aussi souligné le fait que le choix d’adaptation qui a été fait est celui du format d’un conte pour enfant, alors que l’oeuvre initiale est un récit d’aventure historique très documenté et très imprégné de l’histoire de la Grande Guerre. Ça a un peu dérangé mon conjoint, mais pas moi. Ça donne naissance à un film jeunesse, un peu dans l’esprit d’un Jumanji, ou d’un Arthur et les minimoys.
Comme l’expliquait Régis (heureusement qu’il était là pour analyser le travail des cinéastes, il a un vrai regard de scénariste, les autres parlaient pour ne rien dire) c’est une sorte de conte à l’ancienne, avec un début centré sur Ludwig pour élargir ensuite sur le groupe des Lulus et leur quête pour retrouver une vie « normale » : trouver un lieu sûr où s’installer et une famille. Mais à chaque fois ils sont rattrapés par la guerre, sorte d’allégorie de l’ogre dans les vieux contes.
En y repensant, je crois qu’on peut aussi voir ce film comme une adaptation junior de l’Odyssée d’Homère avec Ludwig comme Ulysse, et il cherche sa mère et la Suisse au lieu de chercher Pénélope et la terre d’Itaque. L’ennemi n’étant plus Poséidon mais Ares, le dieu de la guerre.
Les décors sont vraiment sympas, même si on voit la différence entre les vrais décors et ceux en cartons pâte comme la cabane de Louison. Ils sont aussi dans l’esprit d’un film jeunesse. La grande majorité du tournage a été faite en Picardie, alors pour quelqu’un de la région les décors sont très familiers. Pour les autres, ça vous donnera l’occasion de voir le familistère de Guise dont j’ai déjà parlé ici que le topic « Vos sources d’inspiration ».
Il faut savoir que la première guerre mondiale a profondément marqué la Picardie, le reste des Hauts-de-France aussi, mais ce sont surtout l’Aisne et la Somme (plus l’Artois) qui ont morflé. Plus de 100 ans plus tard, les séquelles de la guerre sur le paysage sont encore là et on vit dedans comme si c’était la normalité, au milieu des monuments aux morts et autres lieux de mémoires, musées, mémoriaux, cimetières militaires… Du coup, je pense que ce film n’aura pas le même impact psychologique et visuel sur un habitant des Hauts-de-France (ou du Grand Est) que sur une personne vivant ailleurs.
Le seul passage réellement violent est celui de la tranchée, il m’a paru essentiel même s’il est grossièrement amené. Je ne sais pas trop quoi en penser ; les auteurs ont souligné la capacité de résilience des enfants par rapports aux adultes (au sens large dans la vie, pas que dans ce film ou la BD). Les enfants qui grandissent dans la guerre ou dans la misère apprennent à s’y accoutumer et à vivre avec, malgré les traumas que ça leur laisse, ils s’adaptent et font des projets en fonction de leurs possibilités, quand pour les adultes c’est beaucoup plus aléatoire. Je suis d’accord avec ça, ça renvoie à ce que je disais sur l’humour noir la semaine dernière, mais j’ai trouvé que le passage dans la tranchée ne leur laissait vraiment aucune séquelle psychologique, ça me paraît très peu probable. Enfants comme adultes (et même les animaux) sont soumis à un stress sensoriel tel lors des combats et bombardements que ça marque à vie. Il y a pas mal d’études qui ont été faites sur le sujet. Les résultats sont éloquents.
Sur le jeu des acteurs, c’est un film jeunesse alors il vaut mieux être indulgent et y aller pour les gosses, pas pour les adultes qui jouent trop sérieusement comme au théâtre alors que le film est plutôt destiné aux enfants et aux ados. D’ailleurs je trouve ça un peu ridicule que les noms des acteurs adultes tous secondaires soient mis en gros sur l’affiche. Le seul que j’ai trouvé convaincant c’est Alex Lutz, sans doute en partie grâce à son personnage.
De mon point de vue, le seul défaut de ce film c’est que c’est un film français, avec des défauts de films français, en gros les trois points noirs qui m’agacent : un jeu trop théâtral, pas assez cinématographique, ni assez naturel (là encore les gosses malgré leur inexpérience de la caméra s’en sortent mieux que les grands) ; des clichés contemporains venant remplacés ceux que l’on essaye de déconstruire depuis vingt ans, avec encore plus de gros sabots (manque de subtilité donc) ; une morale bien-pensante dégoulinante et ridicule à force d’être trop poussée (manque de subtilité bis), et passablement anachronique en plus. Le coup de la femme médecin m’a fait bondir, et l’aplomb avec lequel elle affirme dans le texte son anachronisme dans le seul but de justifier le féminisme actuel ça m’énerve. 100 ans se sont écoulés, deux guerres mondiales et plusieurs révolutions sociales, les droits des femmes ne sortent pas d’un chapeau magique. Quand on fait des études d’histoire, entendre des mensonges éhontés de réécriture fantaisiste de l’histoire est aussi stupide et violent que d’entendre que la terre est plate ou que l’humain est apparu par le créationisme. Et c’est valable pour tout le monde, que ce soit les gros réactionnaires fachos qui veulent détruire la démocratie et vomir sur les Droits de l’Homme, ou les wokistes et autres SJW, être du côté du bien ne justifie pas de cacher l’histoire sous le tapis pour raconter des trucs plus plaisants sortis de nulle-part. C’est dangereux socialement et pas sérieux scientifiquement, mais je m’égare. Enfin, c’est sans doute la seule chose qui m’a vraiment gêné dans ce film, quitte à faire un film jeunesse sur la guerre, il fallait être un peu plus pointilleux sur ces aspects, en faisant de la pédagogie évidemment, surtout que Régis Hautière a essayé de faire une BD historique bien documentée adressée aux enfants, occulté cet aspect éducatif n’est pas très judicieux.