[TUTO] Narration : montrer plutôt que raconter

En fait pour citer Leonard Hofstadter : j’avais préparé tout un discours, mais Seigneur, je m’ennuie moi-même… :smiley:

Il y a une théorie avancée par George Martin (dans le blog de Stéphane Arnier) qui dit qu’il y a deux types d’auteurs : les architectes et les jardiniers. Je suis un jardinier. Je plante un truc, j’arrose un peu, et j’attends de voir si ça pousse (comprenez que je ne fais pas de plan, j’apporte de la cohérence ultérieurement), parce que c’est ce qui marche pour moi.

Je ne suis donc pas une grande « planificatrice », mais je case un maximum de descriptions. Quand ? Au moment de la relecture ! Je sais ce n’est pas ce que vous vouliez savoir en demandant « quand faut-il les mettre ». :smiley:

En tant que « jardinière » je mets donc des descriptions quand j’enfile ma casquette de lectrice de mes textes, et j’en mets quand ça manque. D’un lecteur à l’autre, le besoin de description peut varier.

Le truc que vous n’imaginez sans doute pas bien, en vilipendant les descriptions chargées de tous les maux, c’est que vous imaginez à priori qu’une description est un pavé extensif de plusieurs paragraphes. Ce n’est pas l’idée que je me fais d’une description ni de lieu, ni de personnage. Et c’est pour ça que j’ai pas trop de problème avec…

Pas quand mais où ?

Je préfère, en effet, mettre de petits morceaux descriptifs PARTOUT. J’en entrelarde dans tous les recoins. Dans une pause orale quand un personnage se tait où réfléchit à ce qu’il pourrait dire ensuite (les miens ne parlent pas comme des mitraillettes). Au beau milieu d’un dialogue, pour préciser une intention ou un jeu de scène. Entre des scènes d’action (si on peut parler d’action dans mes fics…).

Mais je considère que même un ou deux adjectifs ajoutés à une phrase plate augmentent la proportion de « description » sans alourdir (de trop).

Globalement mes dialogues ne sont pas si intéressants sur le plan purement narratif. C’est très rare qu’ils apportent une véritable information, ils sont là pour restituer l’état des lieux d’une relation entre les personnages grâce au ton qu’ils adoptent. Le dialogue renseigne sur la complicité (en gros) ou l’antagonisme.
Si je ne décrivais pas, l’histoire n’avancerait pas. Les dialogues sont dispensables, les descriptions pas du tout.
C’est pour ça que j’ai du mal à la question « quand faut il en mettre ? » Pour moi le roman est une grosse description qu’il faut découper et rendre plus vive et plus agréable en utilisant différents points de vue, scènes, artifices pour accélérer ou ralentir le temps, et procurer des émotions au lecteur.

Quand faut-il décrire ? Tout le temps parce que mon lecteur est aveugle au film que je me fais dans ma tête. Est-ce que ça doit prendre des pages et des pages ? Non, juste assez pour faire quelques pas vers lui et espérer qu’il ait assez de culture pour susciter des images de lui-même.


Notez qu’empiriquement quand je n’ai pas assez d’imagination pour être précise dans mes descriptions, j’utilise des supports visuels photo. Si je dois décrire une chambre d’hotel même anonyme, hotels .com m’en fournit à volonté. Je n’ai pas besoin d’être extensive. J’ai besoin de quelques détails qui vont permettre d’esquisser une ambiance visuelle surtout si le lieu n’est (comme bien souvent) qu’un simple « décor » pour ce que je crois être important « le petit badinage entre persos ».

Exemple d’un auteur qui n’a pas envie de se casser sur un décor sans importance : le hangar « sombre et lugubre » (alerte, cliché, alerte cliché…)

Depuis une demi-heure, les frangins attendaient le retour au bercail d’un petit groupe de goules ayant établi leur camp de base dans un hangar désaffecté, sombre et lugubre à souhait. Ils avaient bien trouvé leur garde-manger mais hélas trop tard. Il n’y restait que quelques os et des morceaux de chair crue délaissés mais intacts, qu’ils n’avaient pas dû estimer sains. La rupture de la chaîne du froid, c’est sûr qu’il ne fallait pas plaisanter avec ça.

Voilà. Techniquement, on a un hangar, pas éclairé et je « raconte » qu’il est lugubre pour éviter de le « faire comprendre ». Comme j’en ai un peu conscience, je saupoudre d’un détail : « des os et des morceaux de chair crue » abandonnés là négligemment. Et comme c’est dégoutant, j’ajoute un commentaire distancié sur le fait qu’ils n’étaient même pas au frigo (donc doivent traîner n’importe où – même si je ne dis pas où, parce qu’on s’en fiche, c’est juste un hangar lugubre, quoi, je vais pas faire une thèse dessus). Commentaire distancié donc (symptômatique de la carapace du personnage) : on ne plaisante pas avec la chaîne du froid.

Cette description est courte (et pour le moins faignasse). Donc plus tard, l’air de rien, j’ajoute derrière un dialogue toujours pas fondamental.

— Hey Sammy ! appela Dean à demi accroupi derrière une vieille caisse en bois moisi.

Ok, on a donc de la chair crue disséminée et maintenant une vieille caisse de bois pourri. Bon. C’est toujours un bout de description délivrée homéopathiquement, et répartie sur toute la longueur.

Toujours accroupi, il grattouilla la terre à ses pieds avec le bout de sa machette, en cherchant un moyen (intelligent) d’échanger cette corvée

Donc, tout le récit est un mélange de différentes phrases dont certaines décrivent des jeu de scènes, d’autres des réflexions reposant sur des événements passés.

[…]Sam avait les yeux écarquillés et un sourire incrédule à la bouche… dans le plus grand silence. C’était le problème. Quand depuis son plus jeune âge, vous demandez à votre petit frère de ne pas faire de bruit sinon on se fait tous tuer… vous avez un petit frère qui ne pipe pas, même sous la menace !

Après le descriptif pur du jeu de scène. Une réflexion de protagoniste survient. C’est une autre manière d’apporter de la description d’événements passés.
Ici on doit comprendre que l’aîné a élevé son cadet (info familiale), mais aussi qu’il y avait une forme de violence ordinaire (se faire tous tuer si on éternue, crie, pleure… bref attire l’attention sur soi) qui va « raconter » quelque chose de l’enfance et de la façon dont elle aura fatalement façonné les personnages - notamment au niveau de la répression des émotions naturelles.

Ici par exemple, cette manière de « raconter » me semble meilleure que « montrer » car « montrer » obligerait à faire un flashback (seule méthode pour montrer le passé).

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