Je n’ai pas grand-chose à rajouter à toutes celles intéressantes et bien développées qui ont déjà été écrites, mais je fais justement écho à l’excellent post de @aaguingois :
Oui, c’est exactement ça, et je me demande si, au fond, les créateurs originaux ou « continuateurs »/« adaptateurs » « officiels » de certaines œuvres ont conscience qu’ils ruinent des univers entiers à force de vouloir rajouter 3000 trucs qui contreviennent au lore premier. Certains, sous couvert d’authenticité, le font surtout pour l’argent. Aujourd’hui il semble difficile de créer une œuvre originale, sur la base de rien, alors on adapte un livre en film, en JV ; un JV en film, en série, en BD ; on fait des suites de suites et des reboots et des retcons ; et des prequels et des sequels, mais en s’asseyant un peu beaucoup sur tout ce qui a déjà été fait avant, à plus forte raison que tous ces appendices à l’œuvre première ne sont pas forcément créés par les mêmes personnes. De toute façon, ça fera vendre quoiqu’il en soit. C’est vertigineux, et personnellement, ça me donne limite la nausée.
La saga Terminator pour moi (mais pas que pour moi, bien sûr) a été ruinée. Pour ma part, je considère que Terminator, c’est 3 éléments : les deux premiers films, et la série Les Chroniques de Sarah Connor, qui si elle n’était pas parfaite, loin de là, respectait je trouve très bien les bases posées par James Cameron, et s’efforçait sans prétention de continuer et d’élargir son worldbuilding. C’était une série bien troussée qui tâchait de coller au lore au maximum, même si, dans mon souvenir, il y avait des incohérences. Hélas, faute d’audience (si mon souvenir est bon), la série s’est arrêtée en plein cliffhanger. Un cliffhanger longtemps attendu, étiré en longueur (gros défaut de la saison 2 comparée à la 1… mais la série alors commençait tout juste à trouver son rythme), et qui promettait une suite absolument géniale. En lieu et place de cela, on a pondu des films, Terminator 3, puis 4 (qui était pas mal, mais oubliable quand même), et toute la clique de suites que je ne nommerai pas. Quand on est un « die-hard fan », il est difficile, psychologiquement, d’ignorer toutes ces suites absurdes (ça vaut pour Terminator, mais aussi pour tous ces autres univers continués, essorés, lessivés jusqu’à plus soif et de fait, injustement massacrés), et de simplement rester cantonné au noyau dur de l’œuvre, à ses essentiels, et de se dire que non, le reste n’existe pas. Parce qu’à l’arrivée, on se sent quand même exclu d’un fandom que l’on a toujours vénéré et qui, qu’on le veuille ou non, continue d’être développé officiellement, même en mal, et d’amener du monde.
Je pense aussi à la saga The Legend of Zelda, dont Nintendo a voulu livrer une approche chronologique en 2011 avec la parution du livre Hyrule Historia : ce livre proposait ainsi de relier tous les épisodes de la saga entre eux sur le plan chronologique, et d’établir ainsi une grande fresque historique interne et inhérente aux différents jeux et les reliant tous les uns aux autres. Je pense qu’un peu de fan service a présidé à cette initiative de la part de Nintendo, puisque depuis longtemps les fans spéculaient sur l’ordonnancement chronologique des épisodes de la saga, à savoir que, par exemple, la date de sortie d’un Zelda, et donc son classement dans l’ordre de parution des différentes épisodes, ne correspondait pas forcément à son classement chronologique dans l’univers lui-même (désolée si je manque de clarté).
Sauf que Nintendo n’a jamais pensé à cela en premier lieu. Et si certains Zelda sont des suites directes et officielles d’autres épisodes précédents (c’est le cas par exemple de Majora’s Mask et de The Wind Waker, qui succèdent à Ocarina of Time ; ou encore de Phantom Hourglass et de Spirit Tracks, suites de The Wind Waker), ce n’est en principe pas le cas de la plupart des autres jeux. De fait, cet ajout livresque au worldbuilding de Nintendo apparaît comme surfait, ajouté en surimpression du reste, et incohérent, puisque pas prévu du tout à la base (déjà que, personnellement, j’ai trouvé des incohérences dans The Wind Waker, qui gâtaient un peu la magie de savoir que Nintendo l’avait produit en le considérant comme une suite directe du mythique Ocarina of Time…). On peut bien sûr ignorer ce fait, mais maintenant que le livre existe, et qu’il pose ce qu’il a posé, c’est difficile, quand même, de passer outre le fait qu’Hyrule Historia fait depuis 10 ans partie intégrante de la saga Zelda et de son worldbuilding.
Je pense aussi à Mortal Kombat, qui a connu un reboot (plutôt nécessaire car le risque était justement qu’en continuant la première chronologie, celle-ci ne finisse par s’essoufler) en 2011 (Mortal Kombat 9)… La dernière suite de ce reboot, Mortal Kombat 11, sortie en 2019, a donc bien sûr repris les éléments de MK 9, et les a étirés avec l’histoire d’un voyage dans le temps pas bien ficelé du tout (bon en même temps… on ne compte plus les univers « prolongés » par la magie du voyage dans le temps… incohérences garanties !!! Mais le voyage dans le temps c’est l’ingrédient magique pour étendre à l’infini un worldbuilding et le ■■■■■■ en l’air. On peut être sûr qu’à un moment donné de l’intrigue, les boucles et autres paradoxes temporels vont permettre aux créateurs de s’autoriser toutes les audaces de manière négligée, sans grande considération pour l’intrigue, les personnages et les lieux qu’ils déforment ainsi de la manière la plus éhontée). Encore moins bien ficelé, que MK 11 laisse quand même sous-entendre que certains éléments de l’histoire originelle, pré-MK 9 donc, que ce dernier paraissait avoir abrogée, sont quand même toujours en vigueur… Bref on s’y perd, mais NetherRealms Studios paraît s’en ■■■■■■ comme de sa première brosse à dents.
Un exemple concret du ratage de NRS en matière de worldbuilding dans MK 11 a été le retcon du personnage de Sindel : Sindel est intéressante à plus d’un titre, puisque, apparue en 1995 dans MK 3, elle semblait de prime abord être malfaisante : look gothique et pouvoirs de banshee, elle était l’épouse de Shao Kahn, le grand méchant du jeu. Sauf qu’en fait, Sindel a été brainwashée par le sorcier de Shao Kahn, Shang Tsung. En réalité, Sindel était une reine bienveillante, et seule la levée du sort qui lui a été jeté par Shang Tsung permettait au joueur (et à Sindel, par la même occasion) de découvrir la vérité sur sa vraie nature. Cela a fasciné les joueurs pendant de nombreuses années, car Sindel apparaissait ainsi comme un personnage complexe, à l’apparence trompeuse, et c’était très très bien pensé de la part de Midway (le studio qui a créé et développé le jeu avant qu’il ne ferme ses portes et laisse place à NRS…).
Dans MK 11, Sindel réapparaît, mais semble ne pas être victime d’envoûtement la tirant malgré elle du côté du Mal, et se présenter ainsi comme bonne dès le début. Mais… plot twist : l’histoire nous apprend que non, elle est méchante, qu’elle l’a toujours été, qu’elle a fait semblant depuis le début d’être une victime, et qu’elle n’a finalement jamais subi de lavage de cerveau de la part de Shang Tsung. Pire encore : elle n’a pas été mariée de force à Shao Khan, mais elle l’a élue, consciemment, parce que c’est un Chad, vous savez, un type bien baraqué, puissant, plein de testostérone, de gouaille et de nanas (et qui veut accessoirement conquérir le monde)… Dès lors, les deux apparaissent comme un « power couple » bien stéréotypé, qui rit bêtement comme les méchants dans les dessins animés et n’a pas d’autre but que de faire le mal autour de lui… Ce retcon est sorti de nulle part, il a surpris tous les fans et il n’a surtout aucune assise solide qui le rendrait convaincant et authentique. Alors, certes, on pourrait arguer que la « fausse méchante/vraie gentille » Sindel était le fruit de la chronologie originelle de Mortal Kombat, et que le reboot a permis de changer bien des choses, dont celle-ci. Il reste que Sindel et son histoire (la « vraie », je veux dire, et si je puis le dire ainsi) ont marqué les esprits et que, reboot ou non, changer cet élément fondateur de Mortal Kombat était une grosse bêtise.
Sindel a toujours plu aux fans parce qu’elle avait plusieurs facettes. Ce n’est plus maintenant qu’un personnage unidimensionnel, à l’opposé même de ce qu’elle était censée être (« fausse méchante/vraie gentille »)… Et quand on connaît ce personnage depuis longtemps (depuis 1995, pour les fans les plus vieux et les plus fidèles), eh bien, cette réécriture officielle fait mal aux fesses. Voilà un bel exemple raté et non nécessaire de worldbuilding.
Alors, quelle(s) limite(s) au worldbuilding ?
J’ai envie de le dire vulgairement : le foutage de gu*ule de la part des créateurs officiels, qu’ils soient les créateurs originels d’un univers, ou ses continuateurs.
Car oui, tout univers fictionnel a une fin. À un moment, il faut savoir s’arrêter, par exemple quand on sent que l’œuvre est close sur elle-même et que tout ajout d’un nouvel élément pourrait en gâter l’essence. C’est ce qui est arrivé avec Terminator : les deux premiers films étaient parfaits et ne nécessitaient sans doute pas d’ajout ultérieur, ou alors, un ajout qui n’aurait pas tout gâché. Encore une fois, Les Chroniques de Sarah Connor étaient un ajout vraiment bien pensé selon moi ; mais j’admets que c’est subjectif, et que certains gros fans du diptyque cameronien ne partagent sans doute pas mon avis. Mais faire un truc qui ne gâche pas tout et qui satisfasse tout le monde, c’est difficile. Il aurait donc fallu arrêter après le second film.
Mais bon bien sûr, pour des raisons financières, on va continuer, on va user la corde jusqu’à dégoûter les fans de la première heure, parce que c’est plus simple de continuer sur la lancée d’un truc déjà existant que de créer une nouvelle œuvre originale qui peut-être ne rencontrera pas son public.
Autre chose : même un continuateur, fan inconditionnel d’un univers, ne pourra pas forcément le respecter autant qu’il le voudrait, car il est soumis à un cahier des charges strict qui émane d’instances qui lui sont absolument supérieures et qui contrôlent en fait tout le projet de A à Z. Et si le continuateur décide de dire stop au projet, car cela contrevient à sa vision et à celle qu’avait voulu donner le créateur, ce n’est pas grave, l’instance supérieure trouvera quelqu’un d’autre pour massacrer l’univers à sa place…
En matière de fanfiction en fait, tordre le worldbuilding à sa guise ne me dérange pas : la fanfic est un loisir, auquel s’adonnent des amateurs de manière anonyme, c’est pourquoi on est libre de ne pas lire une fic si on considère que l’auteur fait n’importe quoi avec le fandom et que ce n’est pas la vision qu’on en a.
En revanche, au niveau « officiel », oui, le worldbuilding a toujours, toujours une limite. Mais l’argent, et la croyance tenace qu’il faut toujours, toujours faire plus, et ne pas justement s’imposer de limites (le paradigme de la croissance et du progrès infinis sous-tendent cette croyance…), eux, n’en ont donc pas, hélas…