« Je ne suis pas fou ! Ma mère m’a fait passer des tests. »
Bon…
Ca fait un moment qu’on avait envisagé la création d’un sujet autour de ce thème avec une autre membre du forum (coucou @Alresha ) suite à des échanges un peu – beaucoup – H.S sur le sujet « Votre Sherlock Holmes préféré » vis-à-vis de la représentation (et de la considération sociétale, voire de la prise en charge clinique) de la dépression à travers les âges. Il me semble qu’il y a un certain intérêt à analyser (et pas que pour les psy ) comment sont utilisés dans la fiction – à bon ou à mauvais escient – les héros et antagonistes présentant des particularités psychiques notables. D’autant que, j’ai l’impression, on voit de plus en plus passer.
Il paraît que la « santé mentale » est l’une des grandes causes de l’année (sans blague ), alors pourquoi ne pas s’intéresser à la manière dont celle-ci entre en jeu dans nos fandoms préférés ?
Pour le titre du topic, j’ai beaucoup hésité à parler de maladies mentales, de pathologies, ou de troubles psychiques… pour des raisons qui seraient longues à développer (je ne vais pas commencer à balancer des pavés à tout va maintenant… je me réserve pour plus tard ), je n’étais fan d’aucune des appellations qui, pour moi, chacune à leur manière, prenaient le sujet sous un angle déficitaire/péjoratif. Et, finalement, je n’ai pas résisté à l’envie de donner un intitulé volontairement provocateur (et qui appuie encore plus sur le côté négatif… je vis très bien avec mes paradoxes) en hommage à ce bon vieux Foucault ^^
De toute façon qu’est-ce que ça veut exactement dire la folie ? Pas grand chose. Comme dirait le Roi Arthur, un fou ça n’existe que par convention : « Les fous ils sont fous par rapport à une norme. Mais pour eux-mêmes c’est les autres qui sont fous. »
Pour essayer de préciser ce dont je – on ? – souhaiterais parler sur ce topic, c’est du sujet assez vaste de la représentation des troubles psy/moments de crise psy dans la fiction : des pseudos autistes géniaux (Abed de Community, Sheldon de BBT, pour ne citer qu’eux) aux dépressifs chroniques (Sherlock et ce bon vieux Arthur par exemple), endeuillés pathologiques (Wanda de WandaVision) en passant par ceux bourrés de TOC (Monk ) jusqu’aux psychotiques hallucinés (le Joker, Tyler Durden… oui, il y en a aussi des non violents de schizophrènes fictifs, mais bien moins marquants, ce qui pose peut-être souci…). Comment leurs supposées particularités sont-elles présentées (avec quelle dose de justesse) et en quoi cela dit-il quelque chose de prise en charge de la santé mentale à l’aune de l’époque des différents fandoms ?
Avez-vous des exemples de « bonne représentation » (crédible en apparence par rapport aux connaissances que vous avez des états en question) de la dépression, de l’autisme, de la bipolarité, de l’addiction etc. dans certaines œuvres ?
Ou, au contraire, avez-vous des exemples de représentations visiblement dans les choux ?
Comment les perceptions sociales/historiques des troubles ont-elles un impact sur l’écriture des personnages et leurs réceptions par le public ?
Est-ce qu’on peut représenter la “singularité mentale” dans la fiction sans tomber dans le cliché, la pathologisation excessive ou le sensationnalisme ? Et avec quel objectif ?
Aaaaahhhhh !!! Merci d’avoir sorti ce sujet qui, comme tu le sais, me passionne ! Je n’ai que peu de temps avant de sauter dans un train, mais je vais quand même apporter une petite contribution pour commencer (moi aussi, je me réserve le « droit de pavé » - à défaut de « vœu de ragoût » pour les fans de Kaamelott - pour plus tard)…
… et EVIDMEMENT, je vais parler de Sherlock Holmes. Et de Sherlock. Parce qu’il y a Holmes, le personnage d’Arthur Conan Doyle, qui vit à l’époque victorienne, et Sherlock, le personnage de la BBC modernisé (brillamment, si je peux me permettre) par Moffat et Gatiss. Mais j’aimerais aussi, et peut-être avant, évoquer Athos (dont je n’ai pas parlé depuis teeeeellement longtemps, quelle infidèle je suis).
Donc… Athos, dans les Trois mousquetaires, est clairement un personnage dépressif (et alcoolique, ce qui n’arrange pas son humeur car il a l’ivresse triste). je vous mets sous balise un des extraits qui décrit cette humeur dépressive au chapitre 27 du roman :
Résumé
Athos, dans ses heures de préoccupation, et ces heures étaient fréquentes, s’éteignait dans toute sa partie lumineuse, et son côté brillant disparaissait comme dans une profonde nuit. Alors, le demi-dieu évanoui, il restait à peine un homme. La tête basse, l’œil terne, la parole lourde et pénible, Athos regardait pendant de longues heures, soit sa bouteille et son verre, soit Grimaud, qui, habitué à lui obéir par signes, lisait dans le regard atone de son maître jusqu’à son moindre désir, qu’il satisfaisait aussitôt. La réunion des quatre amis avait-elle lieu dans un de ces moments-là, un mot, échappé avec un violent effort, était tout le contingent qu’Athos fournissait à la conversation. En échange, Athos à lui seul buvait comme quatre, et cela sans qu’il y parût autrement que par un froncement de sourcil plus indiqué et par une tristesse plus profonde. […]
Pour le présent, il n’avait pas de chagrin, il haussait les épaules quand on lui parlait de l’avenir ; son secret était donc dans le passé, comme on l’avait dit vaguement à d’Artagnan.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une « bonne » représentation de la dépression, mais ce qui est certain, c’est qu’Athos, d’humeur égale les trois quarts du temps, sombre régulièrement dans une mélancolie irrépressible durant laquelle il se ferme à l’humanité, y compris à ses amis les plus proches. Ce qui intéresse Dumas lorsqu’il nous décrit le personnage, ce n’est pas vraiment la cohérence de son caractère (d’où le fait que l’analyse du personnage ne soit pas très approfondie), mais la faille secrète dissimulée par le personnage, son passé trouble qu’il a caché à ses amis et qui explique ces phases d’abattement qu’il cherche à noyer dans l’alcool. Au cas où certains ne connaîtraient pas l’histoire des Trois Mousquetaires (et dans ce cas, il faut aller lire le roman tout de suite), j’explique sous spoiler :
Résumé
Plus jeune, Athos, jeune seigneur un peu naïf, est tombé fou amoureux d’une jeune inconnue récemment arrivée dans le voisinage. Il l’a épousée sans rien savoir d’elle. Un jour, lors d’un accident (chute de cheval), il se rend compte que cette femme était marquée de la fleur de lys (marque d’infamie qu’on imprimait au fer rouge sur la peau des criminels, notamment les voleurs ou - Dumas ne le dit pas - les prostituées ). Devenu fou de douleur, il la pend à un arbre (pas cool, j’avoue ; l’histoire ne dit pas s’il l’interroge avant, comment elle réagit, etc… ce que je trouve dommage, mais bon, les fanfics sont là pour ça) et abandonne ses terres, son titre, pour se mettre au service de son roi (et éventuellement mourir dans le processus : Athos fait très peu de cas de sa propre existence et prend souvent des risques). Ce qui explique ses accès de tristesse / désespoir liés à la culpabilité d’avoir commis un meurtre et au fait de s’être trompé sur la femme qu’il aimait…
On a donc là, typiquement, un personnage « romantique », maudit, qui a vécu quelque chose de traumatisant dans son passé et qui en souffre. Ce que je trouve intéressant, c’est que dans Vingt ans après, Athos a complètement changé. En effet, il s’occupe d’un jeune homme (qui lui ressemble beaucoup, tiens, tiens ) et, pour lui montrer l’exemple, a essayé de s’améliorer : « Les vices que j’avais, je m’en suis corrigé ; les vertus que je n’avais pas, j’ai feint de les avoir. » Plus de mélancolie, plus de dépression, Athos ne boit plus. Raoul (c’est ainsi que s’appelle le jeune homme en question) a été sa rédemption.
Tout cela fait d’Athos un personnage, à mon sens, pas vraiment dépressif, mais plutôt traumatisé par un événement marquant de sa vie et hanté par le remords. Je ne dirais pas qu’il est « dans les choux », mais on n’a pas non plus une analyse profonde du personnage… Le côté « addiction » est lié au côté « dépression » et je trouve ça intéressant, les deux disparaissant dans le deuxième roman qui est comme une renaissance pour Athos.
Je parlerai de Holmes la prochaine fois, parce que mon train ne m’attendra pas, mais j’ai BEAUCOUP à en dire !!!
La littérature s’est de tout temps intéressée à la folie : évidemment, citons L’éloge de la Folie d’Erasme, mais aussi le Débat de Folie et d’Amour de Louise Labé moins connu, jusqu’au Bal des Folles de Victoria Mas (que je donne à lire à mes classes de première), en passant par l’abbé Prévost (oui oui) et son exploration de l’âme humaine au travers de l’ensemble de ses ouvrages entre 1731 et 1744 plus particulièrement. Ce qui fascine, c’est d’essayer de comprendre ces esprits (torturés et tortueux) en s’immisçant dans la psyché de personnages atteints de ces troubles, mais aussi de voir comment ils évoluent dans une société normative. Alors, je dis troubles, mais il n’y avait pas toujours de dénomination pour cela :
Je prends l’exemple de L’Histoire d’une Grecque moderne de l’abbé Prévost qui, en somme, présente les méandres de l’esprit d’un homme, le narrateur (qui n’a pas de nom, basé sur un fait divers historique), qui développe une paranoïa et une jalousie maladive pour une jeune femme qu’il a sorti d’un sérail (=harem turc) et qui ne cherche qu’à entrer dans un couvent pour se dévouer à sa foi chrétienne (elle a vécu une illumination). Comme la narration est interne, nous avons certes le point de vue subjectif de ce narrateur, mais cela nous permet de nous immiscer dans sa pensée et d’en observer les réflexions, comment il en arrive à cette jalousie et cette paranoïa selon les péripéties que traversent les protagonistes de l’histoire. La fin du roman, sans le mentionner explicitement, suggère qu’il sombre dans la folie. Beaucoup d’études littéraires ont été menées sur la façon dont Prévost a construit sa narration piégeuse, puisque le lecteur voit bien que son récit est faussé par la subjectivité du narrateur, mais il n’a pas non plus un accès illimité aux autres personnages. Prevost, pour donner encore plus le vertige, a construit les autres personnages et les situations comme des doubles et des miroirs du protagoniste principal. Jusqu’à en arriver à ne pas pouvoir trancher : avait-il raison d’être jaloux ? L’a-t-elle manipulé ? Son désir de possession (qui aborde d’ailleurs la notion du consentement !) l’a-t-il conduit à la jalousie maladive, puis la paranoïa (on parle alors de libido sciendi = la surveillance de l’objet du désir, tout connaître de lui, de libido sentiendi = la recherche de la satisfaction du désir physique malgré l’opposition de l’objet (souvent au travers d’un fantasme) et de libido dominandi = volonté de contrôle et de domination sur l’objet du désir : si je ne peux pas l’avoir, alors personne ne l’aura) ?
On peut dire que, sans aller dans une représentation sensationnaliste, le roman en particulier aime à explorer l’âme humaine et ses folies (maladives ou non !).
Je vais avoir un prisme particulier étant professionnelle de santé.
Mais je vais commencer par répéter quelque chose que j’ai entendu aux imaginales (excellente convention de fantaisie dans la ville vosgienne d’épinal) : Peux-tu apprécier une littérature qui n’est pas rugueuse ?
Donc avec des personnages cassés par la vie ?
J’ai trouvé cette réflexion très intéressante. Aimerais-je en effet lire une histoire où tout va bien du début à la fin, sans rebondissement, sans un personnage atypique ou malade au sens large ?
Ma réponse à moi est non.
Des personnages crédibles de pathologie mentale… Je vois citer au-dessus Sherlock Holmes, il est vrai que ce personnage reflète plutôt bien une personne que je dirais bipolaire, passant de l’intelligence maniaque à la dépression la plus totale, avec ses addictions. C’est un bon choix je crois.
À la fac de médecine, on m’a dit que le personnage du film Black Swan est réaliste, qu’une personne schizophrène vit en effet les choses ainsi. Ce film m’a beaucoup angoissée, que ce doit être difficile de vivre ainsi !
J’ai lu aussi Sheldon Cooper dans les personnages cités. Je le trouve en effet bien fait, bien que pour un autiste asperger, il s’adapte quand même plutôt bien. Il a été un peu lissé je pense, pour être apprécié du public. Même si il faut du temps pour l’apprécier, et qu’en ce qui me concerne, ce sont la présence des femmes autour de lui qui le rendent accessible, Penny en tant qu’amie franche et protectrice, et Emy en tant que femme aimante.
Je ne sais pas très bien comment terminer ce chapitre, vous m’excuserez, le sujet est si vaste.
Je vous lirai avec attention.
Ah, il y en a qui ont préparé (ou fait passer ?) l’agreg récemment, non ? Je n’ai jamais lu ce roman, mais ce que tu en dis donnerait presque envie (alors que l’abbé Prévost, comment dire… il était au programme l’année où j’ai passé l’agreg, je me suis fadé Cleveland, plus de mille pages que l’on m’a présentées comme « un récit d’aventure » et j’en ai conçu une certaine amertume en constatant que ce n’était pas le cas, mais je m’égare ).
Question très très très intéressante, qui mériterait, je trouve, un sujet à part entière !
Oui, je trouve aussi, et je vais donc en parler parce que c’est mon obsession du moment : je reviens à mes (quasiment) premières amours. Sherlock Holmes m’a beaucoup marquée, non seulement à cause de l’originalité des nouvelles policières, mais aussi (et surtout) en raison de la fascination que j’éprouvais pour le personnage. Je pense que tu as raison et que Holmes est bipolaire, alternant phases d’hyperactivité déconcertantes pour son entourage (ou pour ses clients / les agents de police qui ne le connaissent pas encore / les passants…) et périodes d’apathie complète dont Watson a bien du mal à le sortir.
En fait, en relisant plusieurs nouvelles de Conan Doyle, ce qui me frappe, c’est la manière dont Watson, un médecin, parle de son colocataire et ami. Il parle très « librement » de la dépression, utilisant plusieurs fois le terme et décrivant les symptômes de Holmes en phase « basse » (en phase « haute » aussi, mais il ne pose pas de diagnostic à ce moment-là). Le détective broie du noir, semble assailli par des pensées morbides, n’a plus d’énergie, ne fait plus rien, mange à peine (cela dit, il se passe aussi souvent de nourriture pendant ses enquêtes parce que « la digestion ralentit son activité cérébrale » ), dort mal ou au contraire passe la journée au lit sans avoir la force de se lever.
Je ne suis pas médecin, ni psy, mais le comportement « extrême » de Homes me semble assez bien correspondre à la bipolarité. Et ce que j’apprécie particulièrement dans les romans et nouvelles d’ACD, c’est la bienveillance du narrateur, à savoir Watson, qui n’émet jamais de jugement sur lui, mais l’aide dans toutes les circonstances, n’hésitant pas à tout laisser tomber lorsque Holmes a besoin de lui, que ce soit pour une enquête ou médicalement parlant (dans « Les propriétaires de Reigate », il se précipite à Lyon, pas la porte à côté donc, quand il apprend que son ami est tombé « malade » - en fait, il s’est épuisé en phase « haute » et est donc tombé très bas, je cite Watson : « en proie à la plus noire dépression »). Je ne sais pas pourquoi, je m’imaginais qu’à l’époque victorienne, ce genre de diagnostic pouvait peut-être être posé, mais devait être considéré comme « honteux ». Je suis donc agréablement surpris par l’attitude de Watson, qui est un des personnages / narrateurs les plus bienveillants qui soient, à mon sens.
Bref, Sherlock Holmes a été très rapidement un de mes personnages préférés, peut-être pas « cassé par la vie », ainsi que tu le formules, @Lyn, d’abord parce qu’on ne sait rien du passé du personnage, de sa famille, de ce qu’il a pu vivre de traumatisant (même si beaucoup d’encre a coulé, par la suite, en spéculations sur ce sujet ), ensuite parce qu’il n’a pas l’air spécialement malheureux, et qu’il a par ailleurs cette faculté, ce don incroyable d’observation et de déduction qu’il a développé et poussé presque jusqu’à la perfection, et qui est sa raison de vivre.
Ce qui m’amène à une question que je me pose en relisant Sherlock Holmes : j’ai l’impression qu’il y a une forme de « sublimation » de ce genre de « troubles » dans la littérature de manière générale, et encore plus dans des films ou séries plus récents. Comme si il y avait les deux côtés de la médaille : le côté « sombre » qui est la dépression, la bipolarité, l’autisme, etc… (donc difficile à vivre pour le personnage et / ou son entourage, qui éveille à la fois l’empathie et l’agacement du lecteur / spectateur, je pense par exemple à Sheldon Cooper) et le côté « positif », qui est généralement un don spécial, une étincelle de génie (pour Holmes / Sherlock, c’est la déduction, mais Sheldon est un génie scientifique, etc…). Comme s’il y avait nécessairement un lien entre les deux, comme une sorte de « prix à payer » pour ces qualités exceptionnelles qui ne sauraient être « gratuites » et seraient nécessairement accompagnées d’une sorte de « malédiction ».
Je suis très partagée face à cette manière de présenter les choses. D’un côté, je trouve que c’est un formidable ressort dramatique et que ça ajoute du relief au personnage, mais d’un autre côté… je trouve que c’est une présentation biaisée. Ayant lu récemment L’empire du malheur de Jonathan Sadowsky (merci encore @Crapule pour ce conseil !), un livre sur l’histoire de la dépression, j’y ai trouvé une déconstruction de cette association « don/malédiction » que l’on fait souvent à propos des personnes / personnages dépressifs. Il dit que certes, Van Gogh était atteint de folie et que c’était un génie, mais qu’on ne sait pas ce qu’il aurait fait s’il n’avait pas eu ces troubles et s’il avait donc vécu plus longtemps. Peut-être qu’il n’aurait jamais peint, mais peut-être aussi qu’il aurait peint davantage de toiles tout aussi exceptionnelles. Idem pour Baudelaire, etc, etc… J’avoue que je me suis pas mal remise en question en lisant ce passage, car je crois que j’avais pas mal intériorisé cette association « je suis dépressif mais je suis un génie, c’est le prix à payer » qui est présente dans beaucoup de récits.
Je vais m’arrêter là car ce qui devait être un petit message sur Sherlock Holmes s’est transformé en un pavé que je n’avais pas l’intention d’écrire à la base. Quoi qu’il en soit, je trouve la discussion passionnante et je serai ravie de lire votre avis / votre présentation de personnages / votre contribution au sujet, quelle qu’elle soit !
Passionnant ce sujet, mais c’est un peu intimidant de passer après les psys et les profs de français
Mais bon, vous nous avez présenté des exemples de représentations qui semblent travaillées sérieusement, et avec bienveillance de la part de l’auteur.
Mais y a aussi du grand n’importe quoi. Et comme le souligne si justement Crapule, ils sont malheureusement souvent marquants.
Parce que justement, les troubles mentaux, c’est impressionnant, donc c’est pratique pour faire du sensationnel (et ça l’est d’autant plus quand on ne se documente pas trop, afin de garder la liberté de faire un peu ce qu’on veut, même si c’est n’importe quoi).
Dans ce genre-là, j’avais vu une série policière japonaise (dont je n’arrive pas à retrouver le nom), où la coupable était une gentille fille qui souffrait d’un trouble dissociatif de l’identité (TDI), et sa deuxième personnalité était celle d’une tueuse impitoyable qui massacrait des gens. Subtile. Un petit air de Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Sauf que dans ce dernier, si je me souviens bien, les deux personnalités sont séparées par une potion, et on est plus sur une métaphore de la dualité qui existe en chacun, entre sa bonne part et sa part sombre, que sur une réelle maladie mentale. Ça remonte loin mais il ne me semble pas qu’il y avait de justification clinique. Alors que dans cette série, c’était clairement justifié par un TDI (notez qu’ils n’avaient pas utilisé « schizophrénie », les deux étant souvent confondus pour une raison qui m’échappe…).
Dans le même genre, je n’ai pas vu le film Split, mais j’en ai entendu beaucoup de mal quant à sa représentation des TDI.
En fait, je dirais que des termes comme « folie », voir « marginalité », sont assez vagues pour permettre de construire des personnages qui questionnent notre rapport à la réalité, à la morale ou aux autres. Ils peuvent être réalistes, et adopter des comportements cliniquement explicables sans pour autant que leur trouble soient précisés, ou juste être « fous », ou du moins perçus comme tel, sans que ça soit relié avec précision à un trouble donné. On accepte le personnage tel qu’il est, et c’est tout.
Par contre, à partir du moment où on donne une justification clinique au comportement ou à la personnalité d’un personnage; il faut être super rigoureux sur ce qu’on fait, parce que des gens vivent avec ces troubles, et faire croire que ce sont limite tous des tueurs dangereux juste pour avoir une œuvre spectaculaire, c’est pas très réglo…
Très intéressant ce sujet. Le premier personnage auquel j’ai pensé en le lisant, c’est River dans le jeu To The Moon. Je me rappelle m’être dit, sans avoir de connaissances particulière sur le sujet, que le dev avait l’air d’avoir bien potassé son sujet ; et aussi que la manière de l’aborder était bien trouvée : le trouble n’est jamais mentionné en tant que tel, on ne le devine qu’à travers le comportement du personnage, et le seul moment où la narration nous met le doigt dessus, c’est juste au détour d’une scène où un toubib lui dit en gros (de mémoire): « C’est dommage que ça n’ait pas été détecté plus tôt, une prise en charge dès l’enfance aurait nettement amélioré les choses », et lui donne un bouquin de Tony Attwood. Le jeu laisse au joueur un peu curieux le soin d’aller consulter wikipedia pour apprendre que le gars est un spécialiste du syndrome d’Aspeger.
Je me suis toujours demandé à quel point le jeu était juste dans la représentation du trouble. Il y a pas mal de commentaires de gens concernés qui disent s’être reconnus dans le personnage, donc je suppose que c’est de l’assez bon boulot…
D’ailleurs, même sans parler de trouble préexistant, c’est une question que je me pose beaucoup quand un personnage a vécu des trucs pas très cool. Comment être dans les clous quant à leur comportement / réactions ensuite ? (J’ai deux ou trois personnages dans ce cas là, avec des sujets un peu casse-gu… et dont j’aimerais bien avoir l’avis d’un (dédo)psychiatre sur le sujet pour rester dans les clous. Pour le moment, je fais du chatGPT, mais ça a ses limites ^^; )
Bon, je ne suis pas vraiment dans les meilleures conditions/sur bon support pour répondre correctement (c’est une galère de rédiger de longs messages sur tel ) mais je me permets juste de préciser – tu dois déjà t’en douter – que chat gpt est tout sauf fiable dès qu’on l’interroge sur un sujet précis/nécessitant des connaissances.
Au risque d’enfoncer une porte ouverte, je dirais que le meilleur matériau sur lequel se baser si on veut taper juste et qu’on n’est pas dans le domaine (voire même si on est dans le domaine), c’est de se baser sur des livres « témoignages », qu’ils soient écrits par la personne présentant « la particularité » ou par ses proches. Pour mieux cerner à la fois ce que la personne peut dire de son propre fonctionnement psychique et de comment celui-ci est perçu par des tiers.
Par exemple, pour la schizophrénie, il y a directement le « Schizo et les langues » de Louis Wofson et « Tendre est la nuit » de S. Fitzgerald (dont la femme était schizophrène) qui me viennent à l’esprit. Y’a aussi « l’Ombilic des limbes » (qui n’est pas un témoignage, certes ), entre autres, d’Artaud qui rend compte de la déstructuration du langage dans certaines formes de psychose.
Je réponds plus dans le détail quand je récupère un PC (dans trois jours), mais je tiens à dire que je trouve vos interventions sur le sujet passionnantes ! (Et, c’est très bien, qu’il n’y ait pas que des gens dans le secteur de la santé mentale qui participent). Faut pas se laisser intimider par les profs de français @Anthaus, encore moins par les psys… j’ai hâte d’évoquer la fiabilité des théories en psycho et des diagnostics psychiatriques par ici
Je n’ai plus la citation exacte en tête, mais c’est Foucault qui avait déclaré un truc du genre « les psychologues s’acharnent à rendre compte de la folie, alors que c’est aux fous de rendre compte de la psychologie »
Je rebondis un peu – très tardivement – sur vos messages (et, du coup, je sens que ça va se transformer en un monstrueux pavé… ). J’essaierai de ne pas trop m’éparpiller ni de trop jargonner, mais, me connaissant, je ne promets rien
Pendant mes vacances (et semi-vacances), j’ai eu comme une petite résistance intérieure à m’intéresser de trop près à la question de la « folie »… là je suis (sauf aujourd’hui) de retour au boulot, j’ai du pain sur la planche, et du coup, vu que je n’ai – théoriquement – pas le temps de participer correctement, je me dis que c’est le moment idéal pour m’exprimer sur le sujet
D’abord merci à tous pour vos interventions, que je trouve vraiment riches et stimulantes (que vous soyez du domaine de la santé ou pas du tout). Il y a déjà plein d’exemples donnés qui sont parlants (et si je réagis à tout dans le détail, on est parti pour un message en trois parties :’)), et qui illustrent bien la variété des représentations (et de la qualité des dites représentations) de “la folie” dans la fiction.
Alors, je vais réagir en vrac mais, d’abord, je tiens à faire une précision qui, je pense, n’est pas forcément évidente pour tout le monde : comme le rappelle @ivcalou les états particuliers ont donné lieu à des descriptions dans les écrits (poèmes, romans)… bien avant que la médecine cherche à tirer des conclusions sur eux, leur donner des noms.
Un diagnostic psychiatrique ne fonctionne pas de la même façon qu’un diagnostic en médecine somatique. Il n’y a, pour l’immense majorité – 96%– des “pathologies” (troubles, singularités, etc… appelez ça comme vous voulez) pas de repérage via IRM, de marqueurs sanguins, de facteurs biologiques identifiés ou d’examen se fondant sur un matériel objectif qui pourrait venir le confirmer ou l’infirmer. C’est une hypothèse de prise en charge (via examen clinique/étude de cas) qui découle des classifications nosographiques dominantes (DSM, CIM) : celles-ci évoluent en fonction de l’époque, du contexte socioculturel, politique… elles sont (contrairement à ce qu’on pourrait attendre de connaissances scientifiques) fluctuantes et dépendent des écoles de pensée comme de la spécificité des formations (elles ne sont donc pas neutres et exemptes d’idéologie… bon, c’est majoritairement l’écueil de beaucoup d’apports en sciences humaines mais je trouve bien de le rappeler). Tout ça pour dire que les diagnostics psychiatriques n’ont pas valeur de vérité, ce sont des consensus sur lesquels on s’accorde pour distinguer le normal du pathologique (cf. l’homosexualité retirée de liste des déviances sexuelles – catégorie des troubles sociopathiques – du DSM et de la CIM seulement au milieu des années 70) en matière de santé mentale.
À titre d’exemple, deux psychiatres, selon le lieu d’exercice ne poseront pas forcément la même étiquette diagnostic sur la base d’observations identiques. Il y a des chiffres édifiants à ce sujet : dans les années 70–80, des travaux sur l’indice kappa (qui mesure la concordance entre praticiens) montraient que les patients avaient plus de 70 % de chances de se voir diagnostiquer une schizophrénie par des psychiatres new-yorkais, contre seulement 38 % par des psychiatres londoniens, alors qu’ils partaient – en principe – de l’analyse de mêmes tableaux cliniques.
Il me semble que, les diagnostics étant déjà bien soumis à caution, il faut prendre des pincettes avant de se livrer à l’analyse “sauvage” (oui, je fais ça tout le temps… de qui je me moque ? ) des personnages de fiction.
Essayer de cerner les problématiques psychiques (ou plus simplement ses traits de personnalité ?) au sein des fandoms, c’est un exercice passionnant (j’avoue que j’adore ça, sinon je ne verserai pas autant dans “l’étude de personnages”), mais ça a ses limites. Et ça peut facilement déraper et mener à des représentations délétères ou caricaturales quand on s’y essaye au pif et sans connaissances.
Oui, pas très réglo… en effet, d’autant quand c’est très mal fait et sert juste un but sensationnaliste. C’est fou le nombre de schizophrènes meurtriers qui peuplent les films et séries… sachant que statistiquement les risques qu’un schizophrène qui décompense (“en crise”, persécuté et/ou halluciné) commette un meurtre sont vraiment faibles. Les personnes atteintes ont tendance à avoir un risque accru de suicide… pas une propension à devenir des serial killers avec option “personnalités multiples”. Et oui, comme tu dis, la schizophrénie est très souvent confondue avec le TDI… et un tas d’autres trucs.
Pour parler des « méchants schizo » devenus cultes, il n’y a que le Joker qui trouve grâce à mes yeux parce que – au moins – l’interprétation (Joaquin Phoenix était absolument phénoménal dans le rôle… il a fait un travail absolument monstrueux pour être crédible que ce soit au niveau de la posture, des mimiques que du regard ; le résultat est bluffant) et l’écriture du personnage tiennent la route ; on voit qu’il y a une un travail derrière : ce n’est pas un tableau classique de schizophrénie mais les symptômes et le cheminement décrits sont cohérents avec une forme atypique de la maladie.
En dépit de sa qualité le film reconduit volontairement, une énième fois, le cliché du “fou meurtrier”. À force, c’est problématique – même quand c’est, pour une fois, réussi – ce type de représentations. Si c’est la seule forme qui existe dans les médias, ça contribue à ancrer l’idée que le psychotique est (plus que l’individu lambda) en proie à des épisodes de violences et est dangereux pour les autres (alors que ça reste un épiphénomène).
Concernant Black swan, @Lyn je trouve que c’est un excellent film mais je serai plus mitigée sur le diagnostic. Pour moi, c’est un film intéressant parce qu’il permet aux spectateurs de faire (plus ou moins) l’expérience d’une personne vivant un épisode hallucinatoire avec sentiment de persécution et de dépersonnalisation… Par contre, Nina (le fameux cygne) me semble bien plus susceptible de présenter une bouffée délirante aiguë ou une personnalité borderline décompensant sur le mode halluciné (suite à un stress intense) qu’une représentation réaliste d’une schizophrénie débutante. Mais après, encore une fois le diagnostic et le réalisateur (que j’adore) à l’intelligence de ne pas en poser.
Sauf que des fois, ne pas en poser, c’est le prétexte pour faire absolument nawak’. Pour parler de représentations fictives dans les choux (en plus d’être stigmatisantes) : Tyler Durden (Fight Club), bon courage pour poser un diagnostic (je ne m’y risquerai pas, par contre, je peux dire ce que ce n’est pas : la schizophrénie) et Kevin de Split (qui est, effectivement, un film assez calamiteux par rapport à représentation du TDI). Il n’y a, à ma connaissance, aucun diagnostic possible pour ces deux-là, leurs symptômes et la manière dont ils sont présentés étant complètement implausible
Dans les fictions mettant en scène des psychotiques meurtriers, il y a souvent une confusion totale entre schizophrénie, paranoïa, TDI, sociopathie, psychopathie, phénomènes de dépersonnalisation ; alors que ce ne sont pas du tout les mêmes entités nosographiques. Le TDI (ex-« personnalité multiple ») ne fait déjà pas consensus dans la communauté scientifique, et certainement pas dans la vision caricaturale où la fiction l’exploite : non, les personnes concernées n’ont pas vingt personnalités antagonistes (dont l’une est meurtrière ) cachées à l’insu du propriétaire du corps. Idem pour la schizophrénie : le vocable “trouble dissociatif” est pris au pied de la lettre et avec une méconnaissance visible du sujet. Les schizophrènes n’ont pas une « double personnalité » mais en phase de maladie – fréquemment – un rapport au réel parasité par des délires, des hallucinations (bien plus souvent auditives que visuelles) et des difficultés d’organisation de la pensée. En éléments peu utilisés dans la fiction (alors que c’est pourtant bien plus représentatif et pertinent que les hallu visuelles – qui ont la côte auprès des vidéastes… bizarrement ), il y a des symptômes moins sensationnels mais beaucoup plus courants de la schizophrénie : mutisme, apathie, incurie, discordance émotionnelle (la personne a des rires immotivés ou sourit tout en étant triste ou effrayée), déstructuration du langage, etc…
La confusion (notamment avec le TDI) entretenue par la pop culture finit par nourrir la stigmatisation et entretient une image délétère pour les personnes atteintes de schizophrénie : dans l’imaginaire collectif devient un tueur imprévisible, halluciné et habité par des voix (physiquement incarnées pour le spectacle) et qui se disputeraient le contrôle de lui, souvent à son insu — ce qui ne correspond évidemment pas à une quelconque réalité clinique…
Pour embrayer sur les “génies” de fiction, pas forcément maudits :
Monk (c’est un perso à mi chemin entre Droopy et Sherlock avec un côté Amish mais bourré de TOC, multiples et envahissants) tient un discours du genre à de nombreux moments de la série pour parler de son incroyable talent de déduction: “C’est un don et une malédiction”. Je ne vais pas m’attarder sur Monk (sorte de pastiche – lui aussi – de Sherlock Holmes) mais @Alresha, comme Jonathan Sadowsky ( ), je suis plutôt d’accord qu’il faut essayer de déconstruire l’idée qu’une “grande intelligence” implique en corollaire tout un tas de déconvenues sur le plan personnel, de la dépression, des difficultés à communiquer avec l’entourage, etc…
Pour aller dans ce sens, j’ai envie de parler de trois pseudo-Asperger qui s’en sortent bien. Ce qui me frappe chez Sheldon (The Big Bang Theory), Temperance Brennan (Bones) ou Abed Nadir (Community) c’est d’une part qu’ils s’en sortent plutôt très bien sur le plan personnel (Sheldon, même si ses excentricités/son côté invivable aurait fait fuir un entourage moins patient s’améliore tout au long de la série ; les particularités d’Abed et de Bones ne les empêchent pas d’être très appréciés par leurs amis et de mener leurs vies comme ils l’entendent) ; d’autre part que ce sont, de mon point de vue, des représentations plutôt judicieuses de « l’autisme du génie » dans la fiction (ouais, les autistes « non-géniaux », ils ne passionnent pas les foules, visiblement)… alors qu’il n’y a de diagnostic clairement posé pour aucun des trois.
Pour Sheldon qui est bourré de traits que – presque – tous les psy que je connais qualifieraient d’autistiques (pensée littérale – difficulté, voire impossibilité, à percevoir l’implicite – incapacité à déceler le sarcasme et à décrypter les intonations, difficulté à intégrer les codes sociaux, volonté d’obéir aux règles de manière rigide, rapport particulier à l’autre, etc.), les créateurs de la série se sont d’emblée prémunis de toute polémique quant au manque de pertinence des réactions de Sheldon par rapport à un supposé TSA, en affirmant ses bizarreries typiquement « sheldoniennes » et non « autistiques ». Malin. Il n’empêche que plus que d’autres génies de fiction (les détectives Sherlock et Monk – des séries éponymes – et le Dr Spencer Reid d’Esprits Criminels, pour ne citer qu’eux… y’en a une ribambelle des génies soupçonnés d’être des Asperger), Sheldon a l’ombre d’une pathologie psy non détectée qui lui colle à la peau jusqu’à la fin de la série. Le gimmick « je ne suis pas fou, ma mère m’a fait passer des tests » trouvant un ressort – comique mais pas que – lorsque Mary déclare qu’elle aurait dû « l’emmener chez un spécialiste à[… je ne me souviens plus le nom du patelin] »… avec le sous-entendu que la manière d’être de Sheldon a bien des causes médicales non élucidées. Après, le personnage (que j’adore) est très appréciable sur de nombreux points mais il réunit un certain nombre de poncifs habituels (génie excentrique, asexuel, très autocentré et peu empathique), là où les deux autres sont un peu plus originaux
Pour Temperance de Bones et Abed de Community, si le diagnostic d’un autisme de haut niveau ou d’un Asperger (ce qui est un tout petit peu différent mais j’ai la flemme d’essayer d’expliquer la nuance… d’autant que ce n’est pas un sujet que je maîtrise bien et que je ne veux pas dire de bêtises) n’est jamais posé ; la supposition est lancée par plusieurs personnages pour qualifier les attitudes inadaptées de Bones (sans que le potentiel autisme du personnage ne soit jamais confirmé… même quand celle-ci est suivie par un psychiatre ou par un psychologue) et d’Abed (dès le pilote sous forme d’insulte : « Et toi, t’es un Asperger »« Haha… Nazeberger »« Ca n’a rien de drôle ! C’est un grave trouble neurologique. »« Alors, ils auraient dû lui donner un autre nom… pas Nazeberger » …. pour ne plus jamais être réévoquer frontalement au cours de la série – le principal intéressé ne réagissant pas à l’hypothèse – bien qu’il soit acté à de multiples reprises que le personnage a bel et bien un trouble neuro… Je ne le dirai jamais assez mais Community est une série géniale). Si l’étiquette diagnostic n’est pas posé dans ces deux cas, elle plane clairement. Dan Harmon ayant en partie basé Abed sur ses propres traits de personnalité (pour l’anecdote, à force de s’entendre dire qu’Abed était un Asperger brillamment écrit, Harmon a consulté… et il a été diagnostiqué TSA) et **Kathy Reichs** (dont les bouquins ont été adaptés) a affirmé avoir largement construit le personnage de Temperance en s’inspirant d’une de ses amies et collègues ayant un « autisme de haut niveau ». Des retours que j’en ai eu les personnes TSA ont globalement une appréciation plutôt très positive d’Abed et de Bones et les considère comme des protagonistes Asperger/autistes crédibles.
S’ils sont aussi bien reçus (et sont des personnages intéressants en dehors des pathos dont ils sont potentiellement atteints), je pense que c’est parce qu’ils échappent facilement à plusieurs écueils… et ce grâce à l’étiquette diagnostique non posée. Premièrement, le fait de ne pas vraiment nommer la pathologie permet d’éviter une sorte de réification : si on créé un personnage avec un trouble clairement identifié, ça oblige à bien plus de rigueur (rigueur rarement là pour les schizophrénes fictifs) donc moins de latitude pour le construire et – le mieux étant l’ennemi du bien – il y a un risque à, en voulant être trop précis, en faire un cliché ambulant (il n’y a, a priori, pas une liste exhaustive de symptômes types à cocher pour avoir un perso autiste qui tienne la route) qui n’aurait pas de sens. Et, deuxièmement, il n’y aura jamais une représentation d’un trouble qui rencontrera l’assentiment général/fera consensus : il y a mille manière d’être autiste – tous les TSA ne se comportent pas de la même façon dans une situation précise (forcément puisqu’ils sont des personnes à part entières au-delà des éventuels aspects singuliers de leurs comportements). Le problème sous-jacent avec ça, c’est que, lorsqu’une particularité psychique est peu – et souvent mal – représentée dans la fiction, les principaux concernés (ceux ayant la particularité) vont peut-être avoir tendance à scruter de près une œuvre mettant – enfin ! – en valeur une personne avec la même étiquette diagnostique qu’eux… et tomber à bras raccourcis sur les créateurs leur proposant une version trop clichée et/ou, tout simplement, trop différente de celle qu’ils espéreraient voir mise en scène. Je me dis que, là où des TSA peuvent être agréablement surpris de s’identifier à des persos qu’on ne leur avait pas “vendus”, a priori, comme autistes mais dans lesquels ils se reconnaissent ; les attentes sont éventuellement trop fortes (et donc faciles à décevoir) quand un protagoniste est d’emblée servi comme figure de proue/d’identification pour les TSA.
Je pense que c’est éventuellement ce qui se passe avec The Good Doctor (que je n’ai pas vue – j’ai eu ma dose de séries médicales avec House et Grey’s Anatomy xD – mais dont j’ai beaucoup entendu parler… et pas nécessairement en bien), le héros étant annoncé comme autiste dès les premières scènes, c’est un élément essentiel de l’intrigue. Chaque détail jugé à côté de la plaque est dénoncé, chaque comportement s’écartant du tableau classique du TSA est vécu comme une erreur, voire une trahison. Mais si les scénaristes essayaient de cocher l’ensemble des critères diagnostics, est-ce qu’on ne tomberait pas dans une dérive inverse ? Un cliché sur pattes qui n’a aucune substance en tant que personnage… et en tant qu’être humain.
Le problème n’est peut-être pas que la série soit « mauvaise » ou que la représentation de l’autisme y soit imparfaite mais que, dès qu’un personnage soit censé représenter officiellement un trouble, il devienne tributaire des attentes que les uns et les autres construisent de la “bonne représentation” du trouble. Quoi que fassent les scénaristes, ils auront du mal à placer correctement le curseur de la justesse de la représentation (surtout sur une série s’étalant sur plusieurs saisons) sans braquer les personnes concernées et/ou experts du trouble, tout en ayant un minimum de libertés sur leur travail de création… Bref, je ne sais pas si ce que je veux dire est clair, je pense que la meilleure manière de représenter un perso autiste, c’est à la fois de se renseigner (c’est comme pour tout, si ce n’est pas un sujet qu’on maîtrise et qu’on fait zéro recherches dessus, on va raconter n’importe quoi), puis de réussir à se détacher du diagnostic type pour lui donner de la consistance. Et ne jamais apposer d’étiquette sur les particularités et laisser les lecteurs/spectateurs déduire ce qu’ils veulent… bah, ça donne bien plus de marge de manœuvre
Je parlerai de la représentation de la dépression dans un prochain message (et du coup, je reviendrai sur ce que vous dites sur Athos – je trouve tes explications autour du perso très intéressantes Alresha – et sur les phases dépressives de Sherlock), notamment avec Martin Eden de London et Clamence (La chute) de Camus qui – l’empire du malheur, hein xD – font partie de mes livres préférés (j’assume :p). Bon, Martin Eden reste la lecture la plus éprouvante de ma vie (d’ailleurs, je n’ai jamais pu le relire…) mais c’est un roman vraiment brillant dans sa manière de faire comprendre la mécanique à l’oeuvre dans certaines formes de dépression.