Intéressant ce sujet…
Déstabilisant aussi. Je vais expliquer pourquoi.
J’écris des fanfictions depuis l’âge de 15 ans, j’ai commencé à les poster sur internet à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui je suis… Beaucoup plus vieille. Au lycée, seuls mes amis proches savaient que j’écrivais un peu pour le plaisir, je n’en parlais pas et ils ne savaient pas sur quoi j’écrivais. J’ai juste partagé quelques chansons parodiques avec une vieille copine de collège et des poèmes avec mon meilleur ami, c’est tout (notez que ce n’était pas mes fanfictions que je partageais).
Il n’y a qu’une seule amie à qui j’ai commencé à en parler au lycée puis à la fac, c’est la seule à avoir lu mes fanfics et je l’ai assommé avec des spoils, mais elle aimait ça. Elle trouvait que j’avais un don pour créer des personnages et pour les histoires d’amour entre eux (selon ses critères de lectrice de shojo de 17 ans, mais ça me faisait super plaisir).
Il y a eu plusieurs barrières, tout d’abord dans le temps j’étais très introvertie, secrète pour ne pas dire taiseuse. Dévoiler des choses sur soi c’est s’exposer, on se fait juger, jauger et on donne le bâton pour se faire battre. Sans parler des gens qui veulent se mêler, participer, vous aider… (Ça c’est ma mère. Elle aussi elle a déjà fouillé ma chambre et trouver des brouillons, heureusement pas les miens : ceux d’une copine de forum que je relisais, ça m’a permis de noyer le poisson.)
Par contre, une fois en confiance (ou alors avec des anonymes sur internet) je ne m’arrête plus, cela dit le plus intime et le plus profond je le garde pour moi.
Bref.
Deuxième barrière : pendant longtemps j’ai écrit exclusivement des fanfictions sur Pokémon. Aujourd’hui, le phénomène s’universalise, les premiers joueurs ont vieilli, ils en parlent avec nostalgie ou s’assument complètement comme fans alors que qu’entre 13 et 18 ans aimer Pokémon restait synonyme de : « Mais t’as six ans dans ta tête woh ? »
Du coup, en début de thèse j’ai osé avouer à des copains de chantier que j’écrivais des fanfics pokémon. Ils avaient grandi avec Pokémon, ils étaient ouverts d’esprit (et l’un d’eux m’a dit : « Ah ma copine aussi écrit des fanfictions, mais sur Harry Potter »). Mais je n’ai jamais parlé de mes histoires, concrètement. Ils savaient juste que j’écrivais. Idem pour mon cousin qui est un ancien joueur de Pokémon.
Récemment, j’en ai parlé à un collègue, parce que j’ai confiance en lui et qu’on devient assez proches avec le temps. Mais là encore, je ne raconte pas mes histoires. En revanche, je lui parle de mes interrogations sur le « rating » par exemple. En tant que père d’un enfant de dix ans, il peut me lancer au sujet de ce que son fils peut comprendre, des choses choquantes ou pas, et de l’utilité des fictions (et des fanfictions) dans l’apprentissage de la vie, en particulier de la Mort, la vie sentimentale et la vie sexuelle, surtout en free access sur internet, où il n’y a pas les mêmes filtres puisque pas d’éditeur.
Cela dit, je découvre aujourd’hui une autre barrière : dans les années 2005-2010, je faisais partie d’une communauté de pokéfans assez étoffée, on écrivait entre nous et beaucoup, c’était aussi je crois le début des fanfictions sur internet. Grâce à ça et aux IRL, j’ai trouvé des amis avec qui je peux parler écriture de fanfictions.
Aujourd’hui, cette communauté a disparu, ou plutôt elle a évolué avec la transformation d’internet (adieux les forums : vive les réseaux sociaux et le discord, tout va vite, trop vite, tout passe par le relationnel : on lit les copains au lieu de lire des inconnus au hasard… Et les univers sont si nombreux, si différents qu’on est soit boulimique de tout - et donc on ne savoure pas - soit on reste enfermé dans son petit monde, et je plaide coupable puisque pokémon/pokémon quoi). De fait, malgré les énormes progrès que j’ai fait dans l’écriture, j’ai moins de lecteurs qu’autrefois. C’est… Bizarre.
J’ai mis du temps à écrire ce pavé. En lisant le post de SteliosAbaris, je me suis sentie un peu mal l’espace d’un instant (c’est pas de ta faute hein ^^').
c’est que des nanas plutôt jeunes qui écrivent et qui ont du mal à contrôler leurs émotions » = en effet, je suis une fille et j’ai commencé jeune, pour les émotions je ne sais pas trop. Au final, peut-être puisque je me suis mise à écrire parce que je me faisais iech et que je stressais pour l’après-bac. Je crois qu’il y avait un côté « ami imaginaire » aussi.
« passé un certain âge, il est anormal de continuer à écrire de la fanfic, cela prouve l’immaturité de la personne » = l’immaturité peut-être pas, mais j’ai considérablement réduit mon activité d’écriture entre ma rencontre avec mon conjoint (2009) et le milieu de ma thèse (2015). J’étais dans un autre cycle, très actif et globalement épanouissant. Je me suis remis à l’écriture quand j’en ai eu marre de passer tout mon temps sur ma thèse.
Puis, l’an dernier, reprise puissante de l’écriture et retour ici parce que l’après-thèse s’est accompagné d’une baisse de charge de travail importante et ça m’a perturbé (bah ouais quand vous travaillez 7/7 parfois la nuit avec plein de projets et que du jour au lendemain vous n’avez plus rien à faire ou presque et plus d’argent ça clache). J’ai besoin de créer en fait, je ne peux pas me contenter de lire et de jouer ou de travailler manuellement sans faire marcher le cerveau à haute cadence.
écrivains ratés incapable d’écrire une fiction originale alors que c’est à cela qu’on prouve réellement son statut d’auteur. En plus, ils ne pourront jamais se faire publier par un éditeur et devenir célèbre, quel drame, surtout pour ceux qui écrivent très bien et mériteraient de s’essayer à la fiction originale ! = ça m’a longtemps perturbé et en fait ça me perturbe encore.
C’est une tentation quand on écrit de se prendre pour un écrivain. Comme l’écriture est chronophage (en plus écrivain est un métier en soi), c’est difficile d’accepter que ce ne soit qu’un « passe-temps », comme s’il y avait un besoin maladif de rentabiliser le temps. C’est un phénomène global, moi qui travaille dans l’archéologie je le vois : c’est un vrai métier, et les passionnés d’archéo s’emballent parfois en se prenant pour ce qu’ils ne sont pas, ils ne sont pas incompétents, mais ils ne sont pas professionnels non plus, c’est un statut un peu zarb. En tant qu’auteure de fanfiction je me vois comme ça, j’écris oui, et plutôt pas mal, mais je ne suis pas écrivaine.
J’ai des idées d’œuvres originales, j’en ai plein, j’en ai d’ailleurs listé une partie sur mon fil de présentation il y a deux jours. Je ne me lance pas à cause du worldbuilding qui prend trop de temps et parce que je suis aussi bloquée par cette idée (cette tentation) : « si je fais une création originale, pourquoi ne pas essayer de la publier ? Ce serait bête de ne pas le faire… Sauf que… Je n’ai pas le temps, et il y a trop de concurrence, et c’est un gros morceau, et la qualité n’est pas là… » Quand je vois ce que ça donne pour publier un malheureux papelard de 15 pages dans une revue scientifique, je ne me vois pas me bagarrer avec un roman de 300 pages, un éditeur-requin et ensuite me retrouver avec 200 exemplaires d’un livre à vendre dans les salons du livre de Péchu-les-oies et Saint-clous-sur-la-bouillasse.
Très bonne citation d’ailleurs de Stelios :
Ainsi, un « Non merci j’adore la fanfic, et même ma fic originale, je n’ai pas envie de tenter de la faire publier, de toute façon le marché de l’édition est saturé de manuscrits donc je préfère m’abstenir et puis ça me va aussi très bien comme ça. » de votre part, pourra vous valoir pour réplique de celle de ces bornés ignorants et mauvais psychologues : « Oh mais pourquoi tu dis ça ! T’écris bien ça va marcher, ne pars pas défaitiste, tu manques juste de confiance en toi ! »
(Euh c’est quoi le rapport Ginette, et pourquoi m’infantilises-tu en insinuant que je n’ai pas confiance en moi et que tu serais donc en devoir de m’enseigner alors qu’en fait, je maîtrise le sujet 100 fois mieux que toi ?)
Donc j’écris des fanfics, parce que c’est plus rapide et plus confortable… En bonne feignasse et lâche que je suis. Même si je suis aussi frustrée de ne pas avoir plus de temps pour en écrire plus, sur Pokémon et sur d’autres sujets que Pokémon : le Disque-Monde, Scooby-Doo, les Tuniques Bleues, Lucky Luke, Time Squad, Naruto, Soul Calibur, Monstre et compagnie, (quand je parlais de boulimie…).
Longtemps j’ai été fière de mon petit talent, même si l’une de mes frustrations est que je ne sais écrire que des histoires d’Aventure. Un héros, de l’action, quelques combats, une jolie fille, un baiser à la fin et hop ! J’aurais aimé pouvoir tester d’autres styles comme la Science-Fiction, le Policier-Thriller, l’Horreur, l’Epopée (historique ou de fantasy)… Mais je suis très maladroite dans ces histoires trop complexes.
Mais bon, mes quelques lecteurs appréciaient mes écrits et mon style, malgré que… « c’est très mal écrit et bourré de fautes »
(Merci les études d’Histoire qui m’ont permis de grandement m’améliorer niveau syntaxe et grammaire mais c’est une lutte de chaque instant, mes posts sur le forum en sont la preuve je crois, je n’étais pas dyslexique mais c’en était pas loin à l’origine.)
Avec le temps, je me suis aperçue que j’avais quand même tendance à mettre de la romance un peu partout, même si c’est light. Et puis en 2015, pour la Saint Valentin, j’ai écrit une fanfiction pokémon qui est clairement une romance (romance/aventure). J’adore cette histoire, je la trouve bien construite et à travers elle j’ai corrigé deux de mes gros défauts : l’écriture « théâtral » ou script de film et la longueur (histoire 50 000 mots en 9 chapitres c’est tout à fait honorable). Je l’ai d’ailleurs lu à ma fille de 2 ans, petit bout par petit le soir, pour l’aider à dormir suite à l’arrêt de la tétine. Au final, il n’y a qu’elle qui a entendu mes fanfictions pour l’instant, et elle ne comprend pas évidemment.
Mais à force de mettre de la romance partout, j’ai commencé à me sentir frustrée, d’abord parce que je reste dans le tout public donc pas de sexe et ensuite parce qu’au XXIe siècle je ne mets en scène que des couples hétéronormés dans un schéma type premier amour - prince charmant - mariage. Du coup, là, avec ma nouvelle fanfiction très longue, je me suis dit que j’allais mettre des blagues salaces et des scènes un peu chaudes (juste un peu, pour rester dans le rating 16 ans).
Et qui dit fanfic longue dit personnages secondaires, et comme j’aime bien les spin-off, j’ai décidé de faire un spin-off yaoi, pour sortir de mes habitudes… Je l’ai quasiment fini, je le publierai ici quand j’aurai suffisamment avancé ma fic principale pour éviter les spoil. Je trouve l’histoire très émouvante et dans un style bien rythmé, ça me change.
Ouais… J’étais contente de moi… Mais :
les fanfics c’est « que du smut avec des histoires gay » ; « sinon, si c’est pas du smut, c’est que de la romance »
Euh… Ben en fait après quasiment vingt ans d’écriture amateur, je pensais m’améliorer et en fait je suis en train de tomber dans tous les clichés, les uns après les autres…
Au final, si j’écris des fanfictions, c’est pour me sentir bien et c’est moche à dire mais une partie de mon bien être dépend du fait que mes proches ne savent pas ce que je fais et me laisse tranquille.
<= émoticône ours dans sa caverne
J’ajoute une petite parenthèse pour la fille de paysan @lilicoud37 ramenée à un vrai métier : je suis un peu dans le même cas (vaguement), et je m’obstine à rester dans le milieu de l’archéologie contre l’avis de mes parents, car ce métier ne me mets pas à l’abri du besoin (toujours pas de CDI, un salaire au smic, beaucoup de déplacements et de travail le weekend, je vis aux crochets de mon mari en gros).
Paradoxalement, je trouve que c’est un « vrai » métier (mes parents eux non, mais je les ■■■■■■■) car ça reste un métier technique et scientifique, contrairement à tout ce qui va être métier artistique. C’est moche à dire, mais moi qui dessinait autrefois et qui aurait de fait pu choisir de me lancer dans une carrière de dessinatrice, ça me paraissait casse-gueule, selon les mêmes critères que mes parents. Je suis imprégnée de cette pensée que je trouve pourtant abjecte, c’est ma contradiction. On en a rigolé avec l’auteur de BD Etienne Willem. Il a fait des études d’Histoire parce que ses parents voulaient qu’il ait un « vrai métier » alors qu’il voulait être dessinateur. Je lui ai répondu que mes parents pensaient que des études d’Histoire ce n’était pas un vrai métier non plus.
En revanche, j’ai besoin de sens dans mon travail et j’ai besoin de me sentir dans mon élément, or c’est une chose que je ne peux pas avoir ailleurs que dans l’archéologie. J’ai un parcours un peu atypique, j’ai fait de la biologie aussi, j’ai enseigné (l’histoire), j’ai fait du bénévolat, de la médiation, mes amis sont d’horizons différents (merci les rencontres internet pour le coup), et j’ai pris pleinement conscience il y a un peu moins de dix ans que j’étais finalement quelqu’un de marginal derrière mon côté passe-partout Madame Tout-le-Monde. Je suis passée par plusieurs phases de dépression et la réponse est en fait simple : j’ai besoin d’un monde qui me ressemble, sinon je suis en souffrance psychologique parfois extrême.
La fanfiction c’est aussi ça, rester dans un monde qui nous ressemble.