Je viens compléter mon analyse de
Heartstopper puisque j’ai lu les quatre tomes parus. Il y en aura cinq au total, si j’ai bien suivi, sans bien évidemment parler des spinoff et novellas qu’Alice Oseman a déjà publiés ou en prévision.
Le dessin est malhabile, débutant mais son style épuré ne m’a pas dérangé, au contraire, c’est mignon et le découpage des cases est bien fait.
La lecture est facile et rapide, et clairement destiné à un jeune public voire un très jeune public. Personnellement, je conseillerais cette série à des préadolescents (10 à 14 ans) plus qu’à des ados (12-17 ans), car en dehors du tome 4, qui aborde des sujets difficiles, les autres suivent plutôt les codes de la littérature jeunesse, pas vraiment du young adult.
J’en ai déjà parlé plus haut les deux personnages principaux sont « creux », ou plus exactement ils sont l’équivalent des héros de la littérature jeunesse des années 50-60 : Tintin, Spirou, Superman, Lucky Luke… (et là Firestorm va encore me tomber dessus pour Lucky ). Ils n’ont pas de personnalité propre. Ils n’ont pas vraiment de défaut, ni de qualité, ils sont juste caractérisés par une droiture morale typique de ces protagonistes de littérature jeunesse, ils font toujours les bons choix (en particulier Nick) et ce qui est juste.
Le récit est plutôt un précis de morale et un guide de bonne conduite en milieu scolaire, notamment face à des personnes à la sexualité « non conforme » (je ne sais plus si c’est la bonne formule pour parler de l’ensemble de la population queer), qu’une vraie histoire de fiction. La romance est extrêmement classique, banale même, ce qui la rend mignonne et universelle mais peu originale.
Ainsi, le roman graphique peut être ennuyeux à lire pour des adultes qui attendent autre chose de la littérature. Des trucs plus profonds, plus subtils, plus originaux…
Moi qui suis cynique par nature (malgré mon goût prononcé pour les happy ends), avec un niveau d’étude élevé et un esprit critique aiguisé comme un rasoir, j’ai été très souvent agacée, en particulier dans le tome 3, puant de bien-pensance et flirtant avec le communautarisme. L’ensemble de l’oeuvre prone la diversité et l’acception de la différence (plutôt axées sur l’orientation amoureuse et le genre, même si on sent que l’auteure voudrait aborder d’autres sujets comme les origines ethniques ou la forme des corps), pourtant dans le tome 3, il n’y a plus un seul hétéro, et quand l’un d’eux (ré)apparaît c’est pour se comporter en gros ■■■■■■■. Même les profs sympas et soutiens moraux des élèves en difficulté sont homosexuels. C’était assez malaisant à lire, limite insultant.
Il n’y a pas trop ce problème dans les autres volumes, plus inclusifs (au sens strict) et apaisés.
De mon point de vue, les meilleurs volumes sont le 2 et le 4. Le 2e parce qu’il aborde un sujet que j’ai assez peu vu sur la prise de conscience des gays. Souvent, dans la littérature, on présente les coming-out comme une prise de conscience soudaine ou progressive rapide tardive, ou alors on n’en parle pas. Là Charlie dit clairement qu’il l’a toujours su, dès l’enfance parce que dans son développement affectif (ce qu’il nomme les coups de coeur fictifs) il a toujours été attiré par des persos de sexe masculin.
C’est aussi celui où il se passe le plus de choses dans l’esprit des deux personnages et où « l’intrigue » (si on peut appeler ça comme ça vu le contenu insipide) se met en place.
Le 4e, lui, aborde enfin pleinement les problèmes psy de Charlie. Dès le début de la série, on sent sa fragilité et il revient régulièrement sur les traumatismes qu’il a subi (harcèlement, solitude, manipulation, etc.) mais il prend sur lui et on pense qu’il va progressivement mieux au contact de Nick mais tout n’est que superficiel et l’amour ne suffit pas.
Enfin, je ne sais plus où se situe ma scène préférée, mais celle qui m’a le plus touchée, c’est celle où Charlie est obligé d’expliquer à son meilleur ami pourquoi il ne lui a pas parlé de sa romance avec Nick. Il y a une crise de confiance entre les deux et on sent bien toute la tristesse et la culpabilité qui se dégagent des deux copains. Ça pour le coup c’est poignant, car Tao est vraiment le grand soutien de Charlie, il l’a accepté tel qu’il était dès le début, sans jamais le juger, et pourtant il se prend ça en pleine face. J’ai trouvé ça dur.
En résumé, c’est mignon cucul, bien pour apprendre aux enfants/ados la tolérance, mais bien trop plat pour des adultes. J’aurais aussi apprécié - même pour des jeunes lecteurs - plus de subtilités dans la morale, plutôt qu’une bête bien-pensance martelée en mode « l’homophobie c’est mal ». Parce que le seul argument avancé c’est « ce sont des êtres humains avec des sentiments ». Ah bah oui merci, quel spoil (cela dit je suppose que pour certains c’est bien de le rappeler mais si ça ne doit pas forcément être ceux dont les parents vont leur faire lire Heartstopper…)