Ce n’est pas un roman que je vais présenter mais après tout, rien dans l’énoncé du sujet n’oblige à écarter d’autres styles littéraires. Je vais donc aborder un essai, qui m’a beaucoup inspiré pour diverses fic/scénarios de JdR et qui de toute manière vaut largement la peine d’être lu.
Il s’agit du Sabbat des Sorcières, de Carlo Ginzburg.
L’ouvrage essaye de déterminer quelles sont les origines des stéréotypes habituels du fameux sabbat auquel les sorcières se prêteraient (transformations animal, vol…)
Avec une approche diachronique, l’auteur remonte la piste des différents éléments en recherchant les liens, les différences, les évolutions à travers des témoignages et des mythes de différentes régions et cultures. Par exemple, le fait de ressuciter un animal dévoré en rassemblant ses os : on retrouve différentes versions de cette croyance entre autre chez les scandinaves (les boucs de Thor sont réputés renaitre à partir de leurs os une fois tués), chez les inuit, les gallois mais aussi dans les témoignages de supposés sorciers interrogés par l’Inquisition dans les Alpes.
L’auteur n’est toutefois pas un illuminé qui cherche à établir à tout prix des liens parfois assez bancal : il reste lucide, liste les points communs, retrace l’évolution des mythes dans le temps et l’espace, formule des hypothèses mais ne cherche pas à conclure systématiquement que « TOUT EST LIE !!! »
Le principal point fort du livre réside, je trouve, dans la manière qu’il a d’aborder les témoignages de magie en occident médiéval : ces témoignages sont majoritairement issus de rapports et de minutes des procès de l’Inquisition. Il y a donc un énorme problème de biais, puisque les méthode de violence psychologique, voir physique des inquisiteurs amenaient le suspect à raconter ce qu’ils voulaient entendre. Les inquisiteurs orientent le suspect à raconter des rituels de sorcellerie en accord avec les propres stéréotypes qu’ils en ont. Et les réponses des suspects les confortes dans ces stéréotypes, qui se généralisent à cause de ce cercle vicieux.
Là ou Carlo Ginzburg a été malin, c’est qu’il a plutôt cherché les « véritables » manifestations de sorcelleries dans les réponses des suspects en contradiction envers les attentes des inquisiteurs.
Il y a par exemple d’hommes dans le Frioul qui se vantaient d’être des « benedanti » : il seraient né coiffé de leur placenta. Par ce signe, ils seraient devenu des genres de combattant magiques dont la nuit, l’âme abandonnait le corps sous la forme d’un animal pour aller combattre en rêve dans les champs des sorciers maléfiques à coup de bottes de navet. L’objet de ces batailles est la fertilité des champs.
Ces témoignages spontanées rendaient les inquisiteurs très perplexe, parce que ça ne collait pas à leurs schémas habituels. Tout comme ses femmes qui prétendaient aller à des réunions pour recontrer Richella, la déesse de la bonne fortune, pour obtenir pouvoir et richesse. L’auteur arrive ensuite à déterminer le moment où la pression des inquisiteurs corromp le témoignage : ici, lorsque les femmes expliquent qu’il y avait un homme (identifié comme le Diable) pour les introduire à la déesse et qu’elles ont dû au préalable abjurer leur fois chrétienne (des thèmes chers au inquisiteurs, qui apparaissent dans le stéréotype classique du sabbat), on comprend que ce sont des éléments ajoutés par des réponses induites par la méthode d’interrogatoire, alors que ces thèmes étaient absents des témoignages initiaux.
La thèse défendue par l’auteur, c’est que les victimes de l’Inquisition n’étaient pas seulement des individus injustement accusés de sorcellerie, mais qu’il y avait aussi des sorciers « véritables » : c’est à dire des sectes plus ou moins païennes, assumant et revendiquant des pouvoirs surnaturels.
Ce qui est fascinant dans le livre, c’est qu’il laisse entrevoir le surnaturel est traité comme une chose réelle, dans la mesure où ça l’était pour les gens de l’époque. Les inquisiteurs ne remettent pas en cause la véracité des témoignages auxquels ils font face. On a donc l’image d’un moyen-âge où il existe réellement des sectes de chasseurs de sorcières, choisis par le destin à la naissance qui vont combattre sous forme d’esprit dans les champs. Vu la quantité de mythes et d’occurrences méconnues, sous différentes versions, c’est une sources d’inspiration à faire tourner la tête.
L’un des meilleurs chapitre je trouve est celui qui étudie en détail la manière dont les rumeurs d’une conspiration des lépreux de toute la France pour empoisonner les puits, tuer tout les gens sains et prendre le contrôle du pays ce sont répandues. l’auteur étudie comment la rumeur nait, prend forme. Qui contribue à l’amplifier, où à la calmer, selon ses interets, mais sans jamais réussir à la contrôler. L’évolution des témoignages, au fil des interrogatoires. Comment des éléments sont ajoutés, modifiés, comment la version « officielle » devient le reflet des difféentes terreurs médiévales. Le complot des lépreux devient au fil du temps un conspiration hyper-complexe, à laquelle seraient mêlés les juifs, le diable et les maures d’Espagnes pour mettre à genoux la chrétientés. Dans une lecture il y a le scénario d’un plan de superméchant à la James Bond, de l’autre il y a l’analyse d’une psychose qui a conduit à des tortures, des exécutions, des pogroms, l’ostracisation des lépreux du royaume.
Et d’un autre côté, le livre permet de découvrir le fonctionnement de l’Inquisition, elle aussi victime de stéréotypes. La manière dont l’enquête était menée, comment les inquisiteurs se montraient très rigoureux dans leurs méthodes… Ce n’était pas une organisation unie, mais s’était un ensemble traversé de désaccord. Tous n’approuvaient pas la torture et des livres interdits par l’Eglise car considérés comme mensonger, le Malleus Maleficarum servait pourtant de manuel à certains enquêteurs.
L’exemple le plus frappant est celui d’un prêtre confronté à certaines de ces femmes qui allaient visiter la Dame de la Bonne Fortune, qui ne les a condamné qu’à une simple repentance. Il explique dans un de ses sermons les raisons de sa clémence : ces femmes ont voulu obtenir la bonne fortune en se tournant vers le diable. Elles ne sont donc pas différentes de ceux qui vont à l’église y prier pour qu’il pleuve, pour que leur vache enfante, pour que leur champs soit fertile, pour guérir d’une verrue… C’est dans ces prières puériles que germe la graine de la superstition et de l’hérésie.
L’ouvrage reste quand même assez complexe de temps en temps, c’est pas le genre de bouquin avec une migraine et une grosse journée de boulot sur le dos. Les phases d’analyses, tout particulièrement, sont dense. C’est plutôt pour un lectorat habitué à lire des ouvrages scientifiques. Mais le sujet, la manière dont il est traité est extrêmement intéressant, on découvre de nouvelles choses dignes des plus grandes saga de fantasy presque à chaque page. Si ça vous passionne également, vous ne devriez pas avoir de mal à vous plonger dedans.