Suite à une discussion passionnante sur les genres littéraires, je voulais proposer un nouveau sujet que je trouve intéressant et qui est en partie lié à cette conversation. En proposant des définitions du fantastique, j’ai écrit cela (désolée, je me cite moi-même ) :
Le Horla de Maupassant (un récit fantastique fondateur en France) peut être lu comme une métaphore de la dépression, mais ne me lancez pas sur le sujet parce que je vais être trop bavarde. Pour moi, la marque du fantastique est plus dans cette angoisse liée à des troubles bien humains mais difficilement explicables que dans l’hésitation entre rationnel et surnaturel (mais je sais que c’est la définition de base, et c’est une chose dont je discute avec mes élèves en 4ème).
… et je trouve le sujet proprement fascinant. Nombre de fictions proposent une double lecture possible en abordant des thèmes plus profonds qu’il ne le semblerait à première lecture ou au premier visionnage. C’est souvent le cas dans le fantastique. Ainsi, Le Horla nous raconte l’histoire d’un homme qui va être progressivement « possédé » ou « hanté » par une entité invisible qui partage sa maison, boit l’eau de sa carafe, pèse sur lui pendant la nuit, l’empêchant de respirer, puis finit par lui faire faire des choses qu’il n’a pas envie de faire, établissant sur lui un contrôle quasi total (par exemple, il veut quitter sa maison mais n’y parvient pas ; une fois enfui à Rouen, il veut aller plus loin mais est « rattrapé » par le Horla qui lui intime de revenir chez lui). Le narrateur se sent de plus en plus mal, angoissé, triste. je mets sous balise la fin au cas où (mais bon, ça a été écrit en 1887 alors on repassera pour les spoilers ! ) :
Résumé
A la fin, le narrateur veut se débarrasser de la créature et élabore un plan pour l’enfermer chez lui et mettre le feu à sa maison. Il y parvient mais deux de ses domestiques périssent dans l’incendie et les remords le rongent. Il finit par douter d’avoir réussi à tuer le Horla et en déduit que la seule possibilité pour en finir avec cette créature est de se tuer lui-même. (Non, c’est pas fun comme bouquin. )
Quand Maupassant écrit ce roman, il souffre lui-même de troubles mentaux (il mourra quelques années plus tard de la syphilis, qui provoque des crises de démence). Ce qu’il décrit dans ce récit (apnée du sommeil, crises d’angoisse, paranoïa, hallucinations) peuvent être le fait d’une créature qui le manipule comme du trouble bien réel qu’il expérimente lui-même (d’où le « doute fantastique », quand on oscille entre deux interprétations, une rationnelle et une surnaturelle). Le Horla est ici une incarnation du trouble mental (qui n’est pas totalement explicable par la science de son époque), il est la métaphore de la dépression (quelque chose d’invisible qui vous empêche de dormir, vous angoisse profondément, vous fait agir contre votre propre bien et vous donne des idées suicidaires ) qui saisit le narrateur pour l’entraîner dans une spirale descendante. Les symptômes sont similaires, jusqu’à la fin du récit, et sous couvert de fantastique, Maupassant exprime ses propres angoisses, ce qu’il ressent sans pouvoir vraiment l’expliquer.
J’ai pris Le Horla comme exemple parce que j’en ai parlé ailleurs, mais beaucoup d’œuvres de fiction ont une double lecture possible et se veulent la métaphore d’autre chose, d’une vérité plus profonde, ou difficile à dire, sous couvert de divertissement. Y compris pour des films ou des séries « de divertissement », justement. Ma question est la suivante (enfin il y en a deux) :
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Avez-vous en tête des œuvres qui peuvent être lues ainsi, de façon métaphorique, et si oui, lesquelles (j’adore les analyses de ce style) ?
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Quand vous écrivez, pensez-vous à l’éventuelle lecture métaphorique de votre texte, avez-vous ce genre d’idées (parler d’une chose pour parler d’autre chose qui serait plus profond) ? (Personnellement, je trouve ça à la limite de l’impossible - pour mes écrits, j’entends ! )
Voilà voilà, je serai ravie d’avoir votre point de vue à ce sujet ! (Et de vous parler d’autres œuvres que Le Horla où je trouve la double lecture fascinante, si ça vous intéresse.)