La suite sous pli !
On aura des roses, des volcans, des renards,
On ira à New York pour nourrir les canards.
On dira à Frodo que son âme est légère,
On portera pour lui les erreurs de nos pères.
On dira sur les plages à tous les étrangers
De poser leurs armes, de se laisser bercer
Par le soleil verdi, sous les vagues d’argent,
On dira: « Fantine, Cosette a trouvé Jean. »
On peuplera la nuit, on videra les zoos,
On libérera la ferme des animaux.
On égaiera le soir des dames Bovary,
On courra ensemble tous les charivaris.
On dira: «Cyrano, ta plume n’est pas morte!»
On ira voir pour K. ce que cache la porte,
On vannera Pangloss, on sauvera Cristo,
On suivra Verlaine dans l’ombre de Rimbaud …
On envolera les roses de Saâdi,
On construira un feu sur les bords d’Arcadie
Et on caressera les loups des steppes grises.
Pourchasser des moulins puis relâcher nos prises,
Aller danser un peu au chant des bals musette,
Y prendre dans nos bras les filles aux allumettes,
Aider Antigone qui retourne la terre,
Mousquetaires, soudain, on videra nos verres,
Avec le Grand Meaulnes nous parlerons d’amour
À la mare au diable jusqu’à la fin du jour.
On soignera Chloé, nénuphar déchiré,
On dira au Corbeau qu’il doit se méfier.
Jusque dans les mines ira notre voyage
Voir ceux qui étouffent, ceux qui sont sans visage,
On prendra dans nos bras le beau Quasimodo,
On esquivera bien les bêtes quiproquos,
Et on parcourra vingt mille lieues sous les mers,
Délivrera Musset de ses larmes amères,
On ira aux Bellons écouter les cigales,
Voir la douce Augustine et l’emmener au bal,
Nos semelles de vent regonfleront nos voiles :
On verra doucement s’éteindre les étoiles.
On vivra à crédit jusqu’au bout de la nuit,
À rebours de ce monde au soleil qui s’enfuit ;
Dès l’aube nous irons préserver les enfants
Des eaux meurtrières, des chagrins triomphants;
Là, on consolera Cioran et Mishima,
Depuis la Roumanie jusqu’à Hiroshima.
Je te ferai goûter des raisins de colère,
Explorer dans le noir le château de ma mère,
Dans le Louvre désert, dans une aiguille creuse
On tuera nos malheurs et nos rancœurs affreuses,
On dira aux Horla de nous laisser dormir,
On dira à Circé de nous laisser partir,
On dira à Gatsby de monter la musique,
On dira à Cendrars que la vie est cyclique,
Et nos peaux de chagrin se changeront en or,
Nos illusions perdues résisteront encor:
On ira visiter Baker Street, Laputa,
Jouer l’hymne à la joie, de Corse à Calcutta,
Parler de poésie avec Martin Eden,
Aller cueillir des fruits dans le jardin d’Éden,
Puis tirer Alceste hors de son désert noir,
La pauvre Gervaise loin de son désespoir …
Et on relèvera Gavroche, Esmeralda,
On cherchera du bleu au fond des yeux d’Elsa,
Puis on désertera les guerres imbéciles,
On désamorcera les bombes, les missiles,
On réconciliera Achab et Moby Dick,
Sûr qu’on rassurera G. Orwell et K. Dick.
On se fabriquera mille et un souvenirs,
Qui te faisant grandir me feront rajeunir,
On corrigera tout, les contes, les romans,
On ira à Poudlard, à Narnia, au Rohan,
Même par les Enfers je crois qu’on passera,
On soignera la mort et on repoussera
La fin.
Cent ans d’amour éclaireront pour nous
Les pages s’envolant, qu’on n’aura pas pu lire,
Et quand je serai vieux, vaincu et à genoux,
Je compterai sur toi, oh, pour tout me relire …"
Extrait plus complet/interminable sous balise ;)
"Je l’écoute… je l’écoute, et il me semble entendre Dylan Thomas, saoul comme le désespoir, lisant ses poèmes de sa voix de cathédrale…*
Je l’écoute et il me semble voir Dickens le vieux, Dickens osseux et pâle, tout près de la mort, monter sur scène… son grand public d’illettrés soudain pétrifié, silencieux au point qu’on entend le livre s’ouvrir… Olivier Twist… la mort de Nancy… c’est la mort de Nancy qu’il va nous lire !…
Je l’écoute et j’entends Kafka rire aux larmes en lisant La Métamorphose à Max Brod qui n’est pas sûr de suivre… et je vois la petite Mary Shelley offrir de grandes tranches de son Frankenstein à Percy et aux copains médusés…
Je l’écoute, et apparaît Martin du Gard lisant à Gide ses Thibault… Mais Gide ne semble pas l’entendre… ils sont assis au bord d’une rivière… Martin du Gard lit, mais le regard de Gide est ailleurs… les yeux de Gide ont filé tout là-bas, où deux adolescents plongent… une perfection que l’eau habille de lumière… Martin du Gard est furax… mais non, il a bien lu… et Gide a tout entendu… et Gide dit tout le bien qu’il pense de ces pages… mais tout de même, qu’il faudrait peut-être modifier ceci et cela, par-ci et par-là…*
Et Dostoïevski, qui ne se contentait pas de lire à voix haute, mais qui écrivait à haute voix… Dostoïevski, à bout de souffle, après avoir hurlé son réquisitoire contre Raskolnikov (ou Dimitri Karamazov, je ne sais plus)… Dostoïevski demandant à Anna Grigorievna, l’épouse sténographe : « Alors? D’après toi, le verdict ? Hein ? Hein ? »
Anna : Condamné !
Et le même Dostoïevski, après lui avoir dicté la plaidoirie de la défense…; « Alors? Alors ? »
Anna : Acquitté !
Oui…
Etrange disparition que celle de la lecture à voix haute. Qu’est ce que Dostoïevski aurait pensé de ça ? Et Flaubert ? Plus le droit de se mettre les mots en bouche avant de se les fourrer dans la tête ? Plus d’oreille ? Plus de musique ? Plus de salive ? Plus le goût des mots ? Et puis quoi encore ? Est-ce que Flaubert ne se l’est pas gueulée jusqu’à s’en faire péter les tympans, sa Bovary ? Est-ce qu’il n’est pas définitivement mieux placé que quiconque pour savoir que l’intelligence du texte passe par le son des mots d’où fuse tout leur sens ? Est-ce qu’il ne sait pas comme personne, lui qui a tant bagarré contre la musique intempestive des syllabes, la tyrannie des cadences, que le sens, ça se prononce ? Quoi ? Des textes muets pour de purs esprits ?
A moi, Rabelais ! A moi, Flaubert ! Dosto ! Kafka ! Dickens, à moi ! Gigantesques brailleurs de sens, ici tout de suite ! Venez souffler dans nos livres ! Nos mots ont besoin de corps ! Nos livres ont besoin de vie !
Il est vrai que c’est confortable, le silence du texte… on n’y risque pas la mort de Dickens, emporté après une de ses harassantes lectures publiques… le texte et soi… tous ces mots muselés dans la douillette cuisine de notre intelligence… comme on se sent quelqu’un en ce silencieux tricotage de nos commentaires !… et puis, à juger le livre à part soi on ne court pas le risque d’être jugé par lui… c’est que, dès que la voix s’en mêle, le livre en dit long sur son lecteur… le livre dit tout.