Ils ont écrit

« Une goutte de lune tombée du ciel » (Jules Renard en parlant de la luciole)

Et un poème de Paul Eluard qu’on m’avait fait apprendre à l’école et que j’aime beaucoup

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Eluard

Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)

8 « J'aime »

De quoi souffres-tu ?
Comme si s’éveillait dans la maison sans bruit l’ascendant d’un visage qu’un aigre miroir semblait avoir figé.
Comme si, la haute lampe et son éclat abaissés sur une assiette aveugle, tu soulevais vers ta gorge serrée la table ancienne avec ses fruits.
Comme si tu revivais tes fugues dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte tant chérie, elle qui sut, mieux que toute tendresse, te secourir et t’élever.
Comme si tu condamnais, tandis que ton amour dort, le portail souverain et le chemin qui y conduit.
De quoi souffres-tu ?
De l’irréel intact dans le réel dévasté.
De leurs détours aventureux cerclés d’appels et de sang.
De ce qui fut choisi et ne fut pas touché,
De la rive du bond au rivage gagné, du présent irréfléchi qui disparaît.
D ’une étoile qui s’est, la folle, rapprochée et qui va mourir avant moi.

Rémanence - René Char

Edit : merci à @ChiaraCadrich qui m’a signalé le souci grammatical de la version fautive que j’avais partagée il y a quelques jours :wink:

Un autre poème de Char pour le plaisir :

Hiver 1939.
Novembre de brumes, entends sous le bois la cloche du dernier sentier franchir le soir et disparaître, le vœu lointain du vent séparer le retour dans les fers de l’absence qui passe.

Saison d’animaux pacifiques, de filles sans méchanceté, vous détenez des pouvoirs que mon pouvoir contredit; vous avez les yeux de mon nom, ce nom qu’on me demande d’oublier.

Glas d’un monde trop aimé, j’entends les monstres qui piétinent sur une terre sans sourire. Ma sœur vermeille est en sueur. Ma sœur furieuse appelle aux armes.

La lune du lac prend pied sur la plage où le doux feu végétal de l’été descend à la vague qui l’entraîne vers un lit de profondes cendres.

Tracée par le canon,
— vivre, limite immense —
la maison dans la forêt s’est allumée :
Tonnerre, ruisseau, moulin.

Donnerbach Mühle

5 « J'aime »

L’hémorragie de tes désirs
S’est éclipsée sous l’azur bleu dérisoire
Du temps qui se passe
Contre duquel on ne peut rien
Être ou ne pas être
Telle est la question
Sinusoïdale
De l’anachorète
Hypocondriaque

Les Inconnus

Le bac philo, c’est terminé mais si vous voulez une analyse de ce poème élégiaque, c’est cadeau.
Cachets d’aspirine offerts à qui lira jusqu’au bout.

Et tout deviendra clair ?

Pas sûr.

(Blâmez @Crapule pour cette invocation du :smiling_imp: )

9 « J'aime »

Mais il dit…
mais il dit…
Que le bonheur c’est d’avoir

Les Inconnus (toujours)

Ce satané air dans la tête
Jusqu’à ce que disparaisse
La fichue chansonnette

(Merci, elle peut s’incruster des jours durant celle-là; hâte de lire l’article associé devant filer mal à la tête :stuck_out_tongue: )

Et, en parlant de blâme, puisque à la base ce poème élégiaque -carrément- a émergé d’un sujet « faut-il systématiquement répondre aux commentaires ? »; voilà une citation à laquelle les auteurs peuvent se raccrocher lorsqu’ils reçoivent des commentaires méchants (à défaut d’étonnifiants) :

« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »

Beaumarchais - Le mariage de Figaro

Ou encore, dans un tout autre style et une autre perspective :

« Qui critique les autres travaille à son propre amendement. »

Schopenhauer

4 « J'aime »

Allez, ça fait presque un mois donc je me permets de remonter ce topic :slight_smile:
Quitte à le ressusciter, je me permets de trainer en longueur , voilà un poème entier et un très long extrait.

"Moi, je t’emmènerai au pays des merveilles

Rencontrer des lapins et manger des groseilles.

De la Terre à la Lune on sautera d’un bond:

On saluera de loin le soleil vagabond.

On ira voir là-bas tous les astéroïdes.

Et on affrontera des armées de droïdes,

La suite sous pli !

On aura des roses, des volcans, des renards,

On ira à New York pour nourrir les canards.

On dira à Frodo que son âme est légère,

On portera pour lui les erreurs de nos pères.

On dira sur les plages à tous les étrangers

De poser leurs armes, de se laisser bercer

Par le soleil verdi, sous les vagues d’argent,

On dira: « Fantine, Cosette a trouvé Jean. »

On peuplera la nuit, on videra les zoos,

On libérera la ferme des animaux.

On égaiera le soir des dames Bovary,

On courra ensemble tous les charivaris.

On dira: «Cyrano, ta plume n’est pas morte!»

On ira voir pour K. ce que cache la porte,

On vannera Pangloss, on sauvera Cristo,

On suivra Verlaine dans l’ombre de Rimbaud …

On envolera les roses de Saâdi,

On construira un feu sur les bords d’Arcadie

Et on caressera les loups des steppes grises.

Pourchasser des moulins puis relâcher nos prises,

Aller danser un peu au chant des bals musette,

Y prendre dans nos bras les filles aux allumettes,

Aider Antigone qui retourne la terre,

Mousquetaires, soudain, on videra nos verres,

Avec le Grand Meaulnes nous parlerons d’amour

À la mare au diable jusqu’à la fin du jour.

On soignera Chloé, nénuphar déchiré,

On dira au Corbeau qu’il doit se méfier.

Jusque dans les mines ira notre voyage

Voir ceux qui étouffent, ceux qui sont sans visage,

On prendra dans nos bras le beau Quasimodo,

On esquivera bien les bêtes quiproquos,

Et on parcourra vingt mille lieues sous les mers,

Délivrera Musset de ses larmes amères,

On ira aux Bellons écouter les cigales,

Voir la douce Augustine et l’emmener au bal,

Nos semelles de vent regonfleront nos voiles :

On verra doucement s’éteindre les étoiles.

On vivra à crédit jusqu’au bout de la nuit,

À rebours de ce monde au soleil qui s’enfuit ;

Dès l’aube nous irons préserver les enfants

Des eaux meurtrières, des chagrins triomphants;

Là, on consolera Cioran et Mishima,

Depuis la Roumanie jusqu’à Hiroshima.

Je te ferai goûter des raisins de colère,

Explorer dans le noir le château de ma mère,

Dans le Louvre désert, dans une aiguille creuse

On tuera nos malheurs et nos rancœurs affreuses,

On dira aux Horla de nous laisser dormir,

On dira à Circé de nous laisser partir,

On dira à Gatsby de monter la musique,

On dira à Cendrars que la vie est cyclique,

Et nos peaux de chagrin se changeront en or,

Nos illusions perdues résisteront encor:

On ira visiter Baker Street, Laputa,

Jouer l’hymne à la joie, de Corse à Calcutta,

Parler de poésie avec Martin Eden,

Aller cueillir des fruits dans le jardin d’Éden,

Puis tirer Alceste hors de son désert noir,

La pauvre Gervaise loin de son désespoir …

Et on relèvera Gavroche, Esmeralda,

On cherchera du bleu au fond des yeux d’Elsa,

Puis on désertera les guerres imbéciles,

On désamorcera les bombes, les missiles,

On réconciliera Achab et Moby Dick,

Sûr qu’on rassurera G. Orwell et K. Dick.

On se fabriquera mille et un souvenirs,

Qui te faisant grandir me feront rajeunir,

On corrigera tout, les contes, les romans,

On ira à Poudlard, à Narnia, au Rohan,

Même par les Enfers je crois qu’on passera,

On soignera la mort et on repoussera

La fin.

Cent ans d’amour éclaireront pour nous

Les pages s’envolant, qu’on n’aura pas pu lire,

Et quand je serai vieux, vaincu et à genoux,

Je compterai sur toi, oh, pour tout me relire …"

Guillaume Plassans (PoPésie) - A ma fille

Extrait plus complet/interminable sous balise ;)

"Je l’écoute… je l’écoute, et il me semble entendre Dylan Thomas, saoul comme le désespoir, lisant ses poèmes de sa voix de cathédrale…*

Je l’écoute et il me semble voir Dickens le vieux, Dickens osseux et pâle, tout près de la mort, monter sur scène… son grand public d’illettrés soudain pétrifié, silencieux au point qu’on entend le livre s’ouvrir… Olivier Twist… la mort de Nancy… c’est la mort de Nancy qu’il va nous lire !…

Je l’écoute et j’entends Kafka rire aux larmes en lisant La Métamorphose à Max Brod qui n’est pas sûr de suivre… et je vois la petite Mary Shelley offrir de grandes tranches de son Frankenstein à Percy et aux copains médusés…

Je l’écoute, et apparaît Martin du Gard lisant à Gide ses Thibault… Mais Gide ne semble pas l’entendre… ils sont assis au bord d’une rivière… Martin du Gard lit, mais le regard de Gide est ailleurs… les yeux de Gide ont filé tout là-bas, où deux adolescents plongent… une perfection que l’eau habille de lumière… Martin du Gard est furax… mais non, il a bien lu… et Gide a tout entendu… et Gide dit tout le bien qu’il pense de ces pages… mais tout de même, qu’il faudrait peut-être modifier ceci et cela, par-ci et par-là…*
Et Dostoïevski, qui ne se contentait pas de lire à voix haute, mais qui écrivait à haute voix… Dostoïevski, à bout de souffle, après avoir hurlé son réquisitoire contre Raskolnikov (ou Dimitri Karamazov, je ne sais plus)… Dostoïevski demandant à Anna Grigorievna, l’épouse sténographe : « Alors? D’après toi, le verdict ? Hein ? Hein ? »
Anna : Condamné !
Et le même Dostoïevski, après lui avoir dicté la plaidoirie de la défense…; « Alors? Alors ? »
Anna : Acquitté !

Oui…
Etrange disparition que celle de la lecture à voix haute. Qu’est ce que Dostoïevski aurait pensé de ça ? Et Flaubert ? Plus le droit de se mettre les mots en bouche avant de se les fourrer dans la tête ? Plus d’oreille ? Plus de musique ? Plus de salive ? Plus le goût des mots ? Et puis quoi encore ? Est-ce que Flaubert ne se l’est pas gueulée jusqu’à s’en faire péter les tympans, sa Bovary ? Est-ce qu’il n’est pas définitivement mieux placé que quiconque pour savoir que l’intelligence du texte passe par le son des mots d’où fuse tout leur sens ? Est-ce qu’il ne sait pas comme personne, lui qui a tant bagarré contre la musique intempestive des syllabes, la tyrannie des cadences, que le sens, ça se prononce ? Quoi ? Des textes muets pour de purs esprits ?

A moi, Rabelais ! A moi, Flaubert ! Dosto ! Kafka ! Dickens, à moi ! Gigantesques brailleurs de sens, ici tout de suite ! Venez souffler dans nos livres ! Nos mots ont besoin de corps ! Nos livres ont besoin de vie !

Il est vrai que c’est confortable, le silence du texte… on n’y risque pas la mort de Dickens, emporté après une de ses harassantes lectures publiques… le texte et soi… tous ces mots muselés dans la douillette cuisine de notre intelligence… comme on se sent quelqu’un en ce silencieux tricotage de nos commentaires !… et puis, à juger le livre à part soi on ne court pas le risque d’être jugé par lui… c’est que, dès que la voix s’en mêle, le livre en dit long sur son lecteur… le livre dit tout.

L’homme qui lit de vive voix s’expose absolument. S’il ne sait pas ce qu’il lit, il est ignorant dans ses mots, c’est une misère, et cela s’entend. S’il refuse d’habiter sa lecture, les mots restent lettres mortes, et cela se sent. S’il gorge le texte de sa présence, l’auteur se rétracte, c’est un numéro de cirque, et cela se voit. L’homme qui lit de vive voix s’expose absolument aux yeux qui l’écoutent."

Daniel Pennac - Comme un roman

Edit : les mérites de la brièveté…

Il nous faut peu de mots pour exprimer l’essentiel.
Paul Eluard

6 « J'aime »

J’aime beaucoup cette idée. Etant directement confrontée à une situation de handicap, je trouve là une belle réplique de défense… ^^

7 « J'aime »

Des citations courtes cette fois :wink:

Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été.
Albert Camus

Je découvre avec mélancolie que mon égoïsme n’est pas si grand puisque j’ai donné à autrui le pouvoir de me faire de la peine.
Saint-Exupéry

Shakespeare autant que Dante laisse entrevoir l’horizon crépusculaire de la conjecture. Dans l’un comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel.
Victor Hugo

J’habite une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées…
Aimé Césaire

7 « J'aime »

Je ne résiste pas à l’envie de remonter – de nouveau – ce topic :wink:

Une phrase qu’on voit beaucoup tourner en ce moment – curieusement – et qui me parle, même si je n’ai jamais rien lu de la propriétaire de la punchline :

Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ?
Gais-z-et-contents - Françoise Giroud

Un peu de Baudelaire :

Ce que la bouche s’accoutume à dire, le cœur s’accoutume à le croire.
L’art romantique - Charles Baudelaire

Un court poème de Prévert qui nous entraîne dans un songe joliment évocateur… bon, en plus c’est l’un de mes poèmes préférés du bonhomme :wink:

Démons et merveilles, vents et marées,
au loin déjà la mer s’est retirée,
et toi comme une algue,
doucement caressée par le vent,
dans les sables du lit,
tu remues en rêvant.

Démons et merveilles, vents et marées,
au loin déjà la mer s’est retirée,
mais dans tes yeux entr’ouverts,
deux petites vagues sont restées.

Démons et merveilles, vents et marées,
deux petites vagues pour me noyer.

Démons et merveilles, Paroles - Jacques Prévert

Et quelques étoiles :

Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire ! […] Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m’avoir connu.
Le Petit Prince - Saint-Exupéry

9 « J'aime »

De bon ton en ce moment…

Kenavo.

5 « J'aime »

Bon, c’est encore moi qui remonte ce topic, mais je ne résiste jamais longtemps à l’envie de partager une flopée de citations (ou plutôt quelques poésies dans le cas présent) pour fêter le démarrage du weekend :wink:

Extrait d’un poète pas si disparu :

Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Fini notre effrayant voyage,
Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,
Proche est le port, j’entends les cloches, tout le monde qui exulte,
En suivant des yeux la ferme carène, l’audacieux et farouche navire ;

Mais Ô cœur ! Cœur ! Cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine
Étendu, mort et glacé.

Feuilles d’herbes, Ô capitaine, mon Capitaine - Walt Whitman

Un de Yourcenar que je trouve spécialement beau :

Je n’ai su qu’hésiter; il fallait accourir;
Il fallait appeler; je n’ai su que me taire.
J’ai suivi trop longtemps mon chemin solitaire;
Je n’avais pas prévu que vous alliez mourir.
Je n’avais pas prévu que je verrais tarir
La source où l’on se lave et l’on se désaltère;
Je n’avais pas compris qu’il existe sur terre
Des fruits amers et doux que la mort doit mûrir.
L’amour n’est plus qu’un nom; l’être n’est plus qu’un nombre;
Sur la route au soleil j’avais cherché votre ombre;
Je heurte mes regrets aux angles d’un tombeau.
La mort moins hésitante a mieux su vous atteindre.
Si vous pensez à nous votre cœur doit nous plaindre.
Et l’on se croit aveugle à la mort d’un flambeau.

Les Charités d’Alcippe - Marguerite Yourcenar

Une saillie – d’une efficacité redoutable – du spécialiste des inventaires :

La guerre déclarée
j’ai pris mon courage
à deux mains
et je l’ai étranglé.

Fatras, la guerre - Prévert

Et un quatrain savoureux qui tombe à point… qui l’eût cru :stuck_out_tongue:

Chaque fois que les gens découvrent son mensonge,
Le châtiment lui vient, par la colère accru.
« Je suis cuit, je suis cuit ! » gémit-il comme en songe.
Le menteur n’est jamais cru.

Le châtiment de la cuisson appliqué aux imposteurs - Alphonse Allais

7 « J'aime »

« Ou l’art et la manière de cueillir un quidam
au détour du forum pour lui disséquer l’âme. »
Je ne savais même pas que Yourcenar avait écrit de la poésie.
Je heurte mes regrets aux angles d’un tombeau.
Ce vers-là va me rester. De même que tout le sonnet. Merci.

7 « J'aime »

Je suis d’accord.
Le poème de Marguerite Yourcenar… C’est un grand oui !
Je ne vais pas dire « j’aurais pu l’écrire » :smile: Ça n’aurait pas été aussi beau, ni si percutant. :facepunch:

8 « J'aime »

Je n’avais jamais rien lu de Yourcenar jusqu’il y a peu. En fait, je suis tombée sur l’une de ses poésies sur le – très chouette – site un poème au hasard , il y a deux semaines, depuis j’ai commencé à lire en PDF l’un de ses essais. Je suis subjuguée par son style et par la manière très brute et particulière d’amener des émotions (vu que c’est un sujet par ici en ce moment).

3 « J'aime »

Merci pour cette chouette info ! :heart:

2 « J'aime »

Alors voilà

J’étais un train de penser à des chapitres futurs que j’ai à écrire :sweat_smile: et soudain…

Le roman inachevé, Louis Aragon

En 5 pieds, autant de simple beauté, cela m’impressionne.

8 « J'aime »

Ce sont les conseils d’écritures de C.S. Lewis (et la mention des inventaires à la Prévert) qui m’ont fait émerger ces trois petits-là :

Guillevic - Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Il t’arrive des mots,
Des lambeaux de phrase.

Laisse-toi causer. Ecoute-toi
Et fouille, va plus profond.
Regarde au verso des mots,
Démêle cet écheveau.

Rêve à travers toi,
A travers tes années
Vécues et à vivre.

Queneau - Pour un art poétique

Prenez un mot prenez en deux
Faites les cuir’ comme des œufs
Prenez un petit bout de sens
Puis un grand morceau d’innocence
Faites chauffer à petit feu
Au petit feu de la technique
Versez la sauce énigmatique
Saupoudrez de quelques étoiles
Poivrez et mettez les voiles
Où voulez-vous donc en venir ?
A écrire Vraiment ? A écrire ?

Prévert - Lumière d’hommes (extrait).

Comme ils sont ridicules et blêmes vos rayons
Lorsque la lumière de celle qui aime l’amour
Rencontre la lumière de celui qui aime l’amour
Drôle d’incendie
Peu importe sa durée
Toujours, hier, demain, bonjour, bonsoir, autrefois, jamais, toujours
Et vous-mêmes
Qu’est-ce que ça fou.t, pourvu que ça flambe.

6 « J'aime »

« Perdu quelque part dans les immenses plaines du temps erre un lilliputien qui est à l’image de Dieu et a produit sur une échelle plus minuscule encore une image de la création. L’image miniature de Dieu, nous l’appelons homme. L’image miniature de la création, nous l’appelons art. »

Ce pas-tout-à-fait aphorisme est l’œuvre d’un certain G. K. Chesterton dans Lunacy and letters.

Un diable d’excentrique britannique du début du 20ème siècle, assez marqué politiquement. « Tory » dans l’âme, il avait pourtant la lucidité de renvoyer les deux camps anglais dans leurs buts respectifs:
« Le monde s’est divisé entre Conservateurs et Progressistes. L’affaire des Progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire des Conservateurs est d’éviter que les erreurs ne soient corrigées! »

Très prolifique, il a touché au journalisme, au théâtre, poésie, romans, nouvelles, policiers… Il est connu pour ses convictions chrétiennes et son amour du paradoxe, qu’il cultivait d’une plume acerbe. Il adorait démonter les proverbes « de bon sens populaire ».

Un exemple tiré du « paradoxe ambulant », le recueil que je lis en ce moment:
« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Les avares se lèvent tôt. Et les voleurs se lèvent la veille. »

Un esprit libre, certainement, même s’il aurait probablement un peu de mal à passer les standards de la cancel culture qui sévit de nos jours. Pour info, j’ai dû édulcorer la première traduction, qui parlait de nains et de pygmées. En somme, un anglais fréquentable… mais de son temps.

8 « J'aime »